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Internationale de l'Education
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Tchad: L’éducation sous perfusion humanitaire dans l’est tchadien

Publié 10 septembre 2008 Mis à jour 10 septembre 2008

Goz Beida, est tchadien – La ville est entourée de camps de réfugiés soudanais et de déplacés tchadiens, de collines pelées sur lesquelles quelques arbustes racornis par le soleil luttent pour survivre. Au-delà s’étend le désert qui n’est plus parcouru que par des bandes armées: pillards, militaires ou rebelles.

En janvier et en juin 2008, les soldats de l’Alliance nationale ont occupé brièvement la ville, avant de poursuivre leurs offensives contre l’armée gouvernementale. Personne ne veut rester à Goz Beida. Les gens restent échoués là-bas.

Des personnes comme Djibril Meina, un jeune instituteur originaire du sud du pays. Il n’en finit plus de compter les jours qui se sont écoulés depuis sa prise de fonction à l’école publique Karaï. Son salaire mensuel est de 108 000 CFA, l’équivalent de 164 €, mais il n’a pas encore reçu de chèque.

« Cela fait quatre mois que j’ai été affecté ici et je n’ai pas encore reçu de salaire, indique-t-il. Nous vivons dans la misère, ma femme et moi. Le coût de la vie est très élevé. Il est impossible de louer une chambre pour moins de 20 000 CFA (30 €). Un poulet coûte 4 000 CFA (6 €) au marché. C’est hors de prix! »

Confronté aux mêmes difficultés, Evariste Togue, le directeur de l’école, confirme qu’il y a de sérieux problèmes au niveau du fonctionnement et de l’administration de l’école et du paiement des salaires. Les jeunes instituteurs sont les premiers à en souffrir.

« Les dossiers des nouveaux repartent vers Abéché, puis vers la capitale, explique-t-il. C’est très pénible pour eux, même si nous aussi sommes parfois concernés par les arriérés de salaire. »

Parmi le personnel présent aujourd’hui à l'école, seul Evariste Togue est affilié au Syndicat des enseignants du Tchad (SET), un affilié de l’IE. Il dit qu’il aimerait un peu plus de soutien de la part de l’organisation, même s’il reconnaît qu’il est fort loin de la capitale pour faire entendre sa voix et ses revendications.

« Comme enseignants, nous n’avons pas le choix, nous avons un devoir moral envers ces enfants afin d’aider au développement du pays », soupire Evariste.

Mais le lieu éloigné, l’insécurité, les arriérés et la cherté de la vie découragent plus d’un enseignant, comme l’admet Mohamed Youssouf Bachar, inspecteur départemental de l’Education nationale. Il déclare que 79 instituteurs diplômés ont été affectés dans les 104 écoles que compte le Dar Sila, mais beaucoup ne se rendent pas au travail. Le dernier recensement faisait état de 46 enseignants et 55 enseignants communautaires, pour tout le département.

Les enseignants communautaires reçoivent le maigre salaire de seulement 28 000 CFA, soit 42 € par mois. Malgré tout, avec 8 enseignants formés pour 720 élèves dont 200 vivent dans un camp de réfugiés tout proche, l’école Karaï ferait presque figure de « centre d’excellence ».

Le Tchad est producteur de pétrole depuis 2004, mais le pétrole n’a pas fourni de manne financière pour le peuple. Interrogé sur le point de savoir si les profits de l’industrie ont été réinvestis dans des secteurs services publics comme l’éducation, l’inspecteur a une réponse évasive.

« Il y a quelques nouveaux bâtiments scolaires. Cette année, nous avons aussi reçu une centaine de tables et de bancs », précise Mohamed Bachar.

Avec ou sans pétrodollars, l’éducation n’a jamais représenté une priorité pour les gouvernements tchadiens qui se sont succédés depuis l’indépendance, en particulier dans cette région accolée au Darfour où le taux d’analphabétisme était, jusque il y a peu, l’un des plus élevé au monde. Paradoxalement, la tendance dans l’est tchadien secoué par les conflits interethniques et les raids transfrontaliers s'inverse.

Le regroupement forcé des populations et leur prise en charge par les agences des Nations unies et par les ONG – qui financent notamment les cantines scolaires et la paie des enseignants communautaires – permet à un plus grand nombre d’enfants de fréquenter l’école.

L’inspecteur de l’éducation avance pour 2005 une fréquentation scolaire de 37% au début du cycle primaire dans le département. Mais maintenant elle culmine à presque 100 % dans les sites pris en charge par les organisations humanitaires, à tout le moins pour la première et la deuxième année du cycle primaire.

Les taux de scolarisation pour les classes supérieures sont toutefois toujours bien plus bas. La discrimination à l’égard des filles réduit quasiment à zéro leur chance de terminer l’école. Pour les filles et surtout pour les garçons, il existe aussi un risque réel d’être recruté par l’armée nationale, par une troupe rebelle ou par une milice d’autodéfense.

Par Jacky Delorme

Cet article a été publié dans Mondes de l'Éducation, No. 27, septembre 2008.