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Photo: GPE/Kelley Lynch
Photo: GPE/Kelley Lynch

#RatifiezC190 « Une détermination sans faille », par Destaye Tadesse.

Publié 6 décembre 2019 Mis à jour 11 janvier 2023
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Le 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, nous avons appelé les gouvernements à ratifier immédiatement la Convention 190 de l'OIT sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail. La convention est le résultat de 10 années de mobilisation et d'activisme de la part du mouvement syndical international. Au cours des 16 jours d'activisme visant à mettre fin à la violence sexiste (25 novembre - 10 décembre), nous présenterons une série d'histoires écrites par des syndicalistes de l'éducation qui ont participé à l'éradication de la violence dans et autour des contextes éducatifs. Ceci est une de ces histoires.

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Elle est enseignante, elle est née et a grandi à Addis-Abeba. Elle est allée à l'école primaire et secondaire à Adis-Abeba. Elle a mené brillamment ses études secondaires et universitaires. Ce parcours lui a permis d'être embauchée comme assistante dans l'une des nouvelles universités situées à 300 km d'Addis-Abeba. Son histoire commence ici.

C'est une enseignante compétente et assurée. Alors qu'elle enseignait à l'Université, le vice-président à l'enseignement l'a abordée et lui a dit qu'il s'intéressait à elle. Bien qu'elle ait essayé de lui dire qu'elle ne souhaitait pas de relation, il a continué à insister et a commencé à la harceler. Il a commencé à dire qu'il voulait l'épouser. Si elle ne voulait pas se marier de suite, il voulait qu'elle soit sa petite amie jusqu'à leur mariage. Elle a continué de dire clairement qu'elle ne voulait pas devenir sa petite amie ni sa femme. Elle a expliqué que son but à l'université n'était pas d'être mariée, mais de poursuivre ses études. Il n'a jamais compris que son refus signifiait « NON ! ». Au contraire, le vice-recteur a continué son harcèlement, à tel point qu'il s'est appuyé sur ses fonctions pour mobiliser ses collègues et la forcer à accepter la demande. Les collègues ont commencé à l'appeler et lui laisser des messages. Comme elle ne cédait pas, elle a reçu des messages de menace de mort. Elle n'a pas cédé aux pression et a continué sa lutte. Dans le même temps, elle a réussi le concours pour obtenir sa maîtrise dans l'une des universités du pays.

Tout en poursuivant ses études, elle a suivi des cours pour enseigner dans le programme d'été de la même université. Lorsque les enseignants reçoivent des cours pour enseigner dans le cadre du programme d'été, ils reçoivent un complément de salaire. Cependant, après avoir terminé sa mission, alors que d'autres enseignants avaient reçu leur salaire, le directeur du Bureau de l'administration et des finances, ami proche et parent du vice-président, a refusé de payer son salaire. La situation est devenue de plus en plus difficile pour elle, d'autant que d'autres chefs de départements gardaient le silence par crainte des représailles s'ils dévoilaient la vérité. Dans ces conditions insupportables, elle a continué à se battre pour ses droits.

Après avoir obtenu sa maîtrise, elle est revenue à l'Université, à un poste placé sous la hiérarchie du vice-président à l'enseignement. Elle a demandé le renouvellement de son contrat et une augmentation de salaire qui corresponde à son contrat. Le vice-président a adressé sa demande au département des finances et de l'administration et aux départements des ressources humaines, tout en leur disant de vive voix d'éviter systématiquement de répondre à ses demandes. Sa demande officielle a donc été ignorée et n'a pas été inscrite dans son dossier personnel. Elle a dû travailler sans salaire pendant de nombreux mois. Elle a fait appel à l'administration de l'université, mais aucune solution ne lui a été donnée. Au contraire, de plus en plus de personnes, sous prétexte de lui apporter leur soutien, lui ont conseillé d'accepter l'offre du vice-président. Certains ont même souligné que si elle épousait un vice-président, pourrait mener un train de vie prestige qu'elle n'aurait pas pu mener autrement. Cela l'a amenée à faire appel à l'Association des enseignants éthiopiens (Ethiopian Teacher's Association, ETA).

A ce moment-là, l'ETA n'avait pas encore ouvert de permanence dans cette université, qui était toute nouvelle. Elle s'est donc directement présentée au siège en expliquant son cas, étayé de preuves, à la présidente de l'ETA en personne. En tant que membre du groupe Gender at Work mis en place par l'IE, la présidente a soumis la question à l'attention du bureau pour l'égalité des sexes de l'ETA. L'équipe a bien compris comment une telle situation pouvait affecter l'effort national visant à accroître la présence des femmes dans le milieu universitaire et a agi rapidement et avec détermination. Le bureau du genre de l'ETA a écrit une lettre au bureau du genre du ministère de l'éducation pour demander une solution immédiate au problème. Alors que le ministère tardait à répondre, le bureau du genre de l'ETA, après avoir compilé toutes les preuves, a directement écrit une deuxième lettre au ministre et au ministre d'État du ministère de l'Éducation.

Le ministre a réagi en mettant sur pied immédiatement un comité chargé d'enquêter sur la situation et de formuler des recommandations d'action. Toutefois, le président du comité a décidé de ne pas inclure de représentant de l'ETA parmi les membres du comité. Et s'est rendu directement à l'Université pour enquêter sur la question.

A ce stade, deux erreurs ont été commises par rapport à une procédure régulière d'enquête. La première erreur a été que l'enquête a eu lieu en l'absence du même enseignant dont le cas faisait l'objet de l'enquête, et la deuxième erreur a été d'exclure l'ETA du processus. Une fois l'enquête terminée, l'ETA a demandé au Comité de lui communiquer son rapport, y compris les recommandations, mais la demande a été rejetée par le responsable du Comité. Consciente de la gravité de la situation, l'ETA a décidé d'écrire une lettre supplémentaire au Bureau de l'égalité des sexes du Ministère de l'éducation. En outre, le président de l'ETA a discuté directement de la question avec le ministre et le ministre d'État du ministère de l'Éducation et leur a dit que si le problème n'était pas résolu immédiatement, l'ETA le porterait devant le tribunal au nom de son membre. La victime a été déplacée dans une université de son choix et a ensuite obtenu son diplôme terminal. Finalement, le vice-président à l'enseignement a été démis de ses fonctions. Je tiens ici à souligner la confiance et la persévérance dont a fait preuve la victime. Sans sa forte volonté et le soutien de sa famille et de l'ETA, ces abus seraient passés inaperçus.

Pourquoi j'écris cette histoire ?

Actuellement, un nombre croissant de femmes rejoignent les universités et les établissements d'enseignement supérieur en Éthiopie. Ces jeunes femmes sont placées dans des institutions supérieures sans disposer des informations appropriées pour faire face à de tels abus. Elles ne savent pas quand et où aller et comment signaler de tels cas. J'aimerais leur faire comprendre qu'elles ne sont pas seules et qu'elles doivent signaler de tels abus. Elles doivent discuter ouvertement et demander le soutien de leurs élèves et de leur famille. En outre, les étudiantes et les chargées de cours doivent être conscientes de la nécessité de recueillir des preuves et de savoir où porter leur affaire.

Dans tous les établissements d'enseignement supérieur et les écoles, il existe un comité organisé dans le but de prévenir la violence sexiste. Le comité est organisé sur la base de la directive intitulée "Directive pour la prévention de la violence basée sur le genre dans les écoles" qui a été élaborée grâce à la collaboration entre le Ministère de l'éducation et les représentants de l'ETA en matière de genre. Dans chaque école, le Comité est constitué de deux représentants de l'ETA. Dans les lycées, l'"indicateur de violence de genre" est destiné à mesurer les niveaux de violence dans les écoles deux fois par an dans le but de réunir les enseignants, les parents, le personnel d'appui scolaire afin de les sensibiliser à la violence sexuelle et sexiste.

Mon message à la communauté scolaire

Une communauté scolaire est une communauté qui s'implique directement ou indirectement dans le processus d'apprentissage. La communauté scolaire joue un rôle central dans la prévention de la violence et l'établissement d'un environnement scolaire sûr et sécurisé. Par conséquent,

  1. Établissements d'enseignement: s'assurer que l'environnement scolaire est exempt d'influences néfastes (bars, boîtes de nuit, drogues....). Les écoles devraient être clôturées et disposer de toilettes appropriées, séparées et propres, que les filles, en particulier, peuvent utiliser librement. Il devrait y avoir un complexe scolaire où les élèves peuvent jouer, s'asseoir librement, lire et discuter.
  2. Parents: en plus d'acheter des fournitures scolaires, les parents ont la responsabilité d'avoir des discussions libres avec leurs enfants. Ils doivent aider leurs enfants à faire face à la violence sexiste, à la pression des pairs, etc. Ils doivent comprendre et soutenir leurs enfants.
  3. Enseignants: Vous êtes les gardiens du savoir. Les parents vous ont fait confiance avec leurs enfants et, par conséquent, veuillez considérer ces enfants comme vos propres enfants, frères et sœurs. Il peut arriver que vous tombiez amoureux d'un de vos élèves. Cependant, vous devez vous souvenir du fait que l'utilisation de votre pouvoir pour abuser des élèves finira par vous coûter plus cher. S'il vous plaît, respectez votre profession, soyez disciplinés et évitez d'être une honte pour cette profession sacrée.
  4. Étudiants: L'éducation est votre avenir. L'éducation a pour but de vous donner les moyens d'agir. Vous devez savoir que les influences négatives empêchent l'atteinte de vos objectifs. Quand on entre à l'université, les défis sont nombreux. La pression des pairs et la dépendance affectent votre éducation. Concentrez-vous sur vos objectifs, faites face aux défis qui peuvent faire obstacles à votre éducation. Vous pouvez vous sentir "libre" lorsque vous entrez à l'université, libre d'aller dans des endroits où vous n'êtes plus sous la surveillance de vos parents. Faites attention à ce que des incitations de vos pairs ne vous coûtent cher.
  5. Personnel de soutien: Vous êtes indispensables à la réussite des objectifs du processus d'enseignement et d'apprentissage. N'utilisez pas vos positions pour inviter des étudiantes à sortir et abuser d'elles. L'étude menée par l'ETA en 2014 montre que le personnel de soutien joue également un rôle dans la lutte contre les violences sexistes en milieu scolaire. Vous êtes également responsables dans cette lutte.
  6. Gouvernement: L'effort visant à offrir une éducation de qualité accessible à tous est louable. Cependant, l'effort et l'attention consacrés au soutien juridique de la lutte contre les violences liées au genre ne sont pas aussi importants qu'ils devraient l'être. Le temps qu'il faut pour enquêter et le manque de preuves sont mal interprétés par certaines personnes (les auteurs ne sont pas punis pour leur manque de preuves, ce qui fait penser à certaines personnes qu'elles peuvent s'en tirer avec ces violences). Le gouvernement devrait trouver une solution qui aide les victimes à obtenir justice en temps opportun et à inclure la lutte contre les violences liées au genre dans les lois pénales du pays.
  7. Syndicat des enseignants: La seule façon de prouver que l'enseignement est une profession sacrée, c'est lorsque nous pouvons être suffisamment professionnels pour respecter notre code d'éthique. Les élèves d'aujourd'hui sont les enseignants de demain. Nos membres devraient être encouragés et soutenus à accomplir leur mission. Les syndicats doivent prendre des mesures strictes contre ceux qui ne respectent pas le code d'éthique.

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Le 25 novembre de chaque année est la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Aujourd'hui encore, à la fin de la deuxième décennie du XXIe siècle, le monde a besoin d'une journée consacrée à attirer l'attention sur le fait que la violence basée sur le genre, en particulier la violence faite aux femmes et aux filles, reste très répandue dans nos sociétés. Selon les estimations mondiales, jusqu'à 35 % des femmes ont été victimes de violence physique et/ou sexuelle de la part de leur partenaire intime ou de violence sexuelle non conjugale au cours de leur vie.

Ces dernières années, l'ampleur de la violence, des abus et du harcèlement auxquels sont confrontées les femmes dans tous les aspects de la vie, et en particulier dans les environnements de travail dans différents secteurs, a été mise en évidence par des mobilisations mondiales de survivantes et de militantes rendues visibles par des campagnes comme #MeToo, #YoTambien, أنا_كمان#, #BalanceTonPorc, #Niunamenos et #TimesUp. Jusqu'en juin de cette année, il n'existait aucun instrument international couvrant l'ampleur de la violence, des abus et du harcèlement sur le lieu de travail. Après 10 années de mobilisation et de militantisme, le mouvement syndical mondial a célébré en juin l'adoption d'une Convention historique par l'Organisation internationale du travail (OIT) pour son année centenaire.

La Convention 190(C190) et la Recommandation 206(R206) sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail, qui l'accompagne, est une norme minimale mondiale unique en son genre pour lutter contre la violence et le harcèlement dans le monde professionnel. C190 définit la violence et le harcèlement comme un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces qui peuvent être d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique (article 1a). La Convention reconnaît et définit spécifiquement la violence et le harcèlement fondés sur le genre (article 1b) et s'applique aux secteurs formel et informel, aux zones urbaines et rurales et à tous les secteurs. Tous les travailleuses/travailleurs, quel que soit leur statut, sont protégées/protégés par la C190 : les travailleuses/travailleurs contractuelles/contractuelles, demandeuses/demandeurs d'emploi, apprenties/apprentis, stagiaires et bénévoles, employeuses/employeurs et travailleuses/travailleurs licenciées/licenciés (article 2). De manière significative, en se référant au "monde du travail", la C190 reconnaît que le "travail" ne se produit pas seulement sur un "lieu de travail" physique ; la protection s'étend donc aux travailleuses/travailleurs soumises/soumis à la cyberintimidation et aux situations liées au travail, y compris les déplacements, voyages et activités sociales liés au travail (article 3). La violence et le harcèlement par des tiers, y compris des clientes/clients, des patientes/patients ou des membres du public, sont également couverts par la C190 (article 4). La Convention défend le principe de " ne laisser personne de côté " en déclarant que les travailleuse/travailleurs vulnérables qui sont les plus susceptibles d'être victimes de violence et de harcèlement dans le monde du travail doivent être protégées/protégés par des lois, règlements et politiques garantissant le droit à l'égalité et à la non-discrimination dans l'emploi et le travail (article 6).

La promesse de la C190 pour le secteur de l’éducation est double : elle porte à la fois sur les violations du droit des élèves à une éducation de qualité et les violations du droit des travailleur·euse·s de l'éducation à un environnement de travail décent et sûr. L'Internationale de l'Education et ses organisations membres travaillent depuis 2016 à éradiquer les violences basées sur le genre en milieux scolaires, en particulier dans un certain nombre de pays africains.

Au cours des 16 jours d'activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes, qui se poursuivront jusqu'à la Journée internationale des droits de l'homme le 10 décembre, nous présenterons une série de témoignages de syndicalistes qui ont participé à ce travail; leurs histoires révèlent de manière émouvante le visage humain et le coût de la violence et du harcèlement en milieu scolaire selon les perspectives à la fois des élèves comme des enseignantes/enseignants. Les histoires montrent également l'impact positif que l'action des syndicats de l'éducation peut avoir dans la lutte pour mettre fin à la violence et au harcèlement basé sur le genre en milieux scolaires.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.