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Mondes de l'éducation

Sierra Leone. Photo: GPE/Stephan Bachenheimer.
Sierra Leone. Photo: GPE/Stephan Bachenheimer.

« Action conjointe requise : dimension de genre et scolarisation en période de COVID-19 », par Elaine Unterhalter.

Publié 1 avril 2020 Mis à jour 1 avril 2020
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Plus de 1,5 milliard d’enfants dans le monde ne vont plus à l’école en raison du COVID 19 et nous ne savons pas pour combien de temps. Jusqu’à présent, ces chiffres n’ont pas été ventilés par genre. Ce choc survient à un moment où, lentement, le nombre d’enfants scolarisés et achevant leurs études commençait à augmenter. Ces cinq dernières années, les gouvernements et la communauté éducative ont commencé à se rendre compte des manières dont l’inégalité des genres en dehors de l’école pouvait se reproduire à l’intérieur de celle-ci et dont les inégalités de race, de classe, d’origine ethnique, de genre ou de lieu s’additionnent dans de nombreux contextes. Nombre d’entre nous ont élaboré des plans pour le travail intensif à fournir en vue de résoudre ces inégalités croisées.

La pandémie peut également mettre un coup d’arrêt à cet important progrès en pleine évolution. Il est capital que nous tirions des enseignements des recherches et pratiques provenant des épidémies et pandémies antérieures et que nous nous basions sur notre compréhension et notre engagement communs en faveur d’un enseignement public, gratuit et de qualité. Les façons dont une éducation de qualité rejoint la santé, l’hygiène, la protection sociale, le travail décent et notre vision de la durabilité et de l’égalité revêtent une importance cruciale au moment de faire face à la catastrophe actuelle.

Dans le cadre de ce processus, il nous faut reconnaître certaines préoccupations spécifiques concernant la création et le soutien d’une égalité des genres et d’une égalité connectée dans les écoles et dans d’autres environnements d’apprentissage. Cette reconnaissance est particulièrement importante parce que l’inégalité entre les genres dans nos sociétés revêt de multiples facettes et est liée à d’autres formes d’inégalité.

Chaque jour, on nous parle de l’ampleur de la crise et de ses nombreuses répercussions locales dans différents pays. Dans ce blog, je souhaite insister sur les dynamiques de genre associées à la scolarisation, qui ont déjà été décrites dans d’autres catastrophes, comme des épidémies précédentes (VIH, Ebola) et des catastrophes naturelles liées à des inondations, des tremblements de terre et des sécheresses. Les effets sexospécifiques du COVID-19 seront probablement étendus et se feront sentir à plusieurs niveaux. Les études relatives à d’autres épidémies et catastrophes indiquent comment des événements soudains laissent des familles dévastées par des décès et la maladie. Les conséquences, relevées à la fois au moment de la catastrophe et après, sont d’ordre affectif et économique. Les deux sont fréquemment observées dans les relations associées au travail à la maison. Dans de nombreuses familles, les filles assument d’énormes responsabilités de soin, qui sont différentes de celles de leurs frères. Les soins dispensés par les filles peuvent gravement affecter leur éducation.

Dans bon nombre de pays, les femmes représentent la majorité du personnel enseignant et c’est particulièrement le cas dans l’enseignement maternel et primaire. Les enseignantes des communautés en confinement devront faire face à une double charge de travail, en raison du temps supplémentaire que requiert l’enseignement à distance ou de la perte de revenus si elles dépendaient de contrats informels. Pour celles qui ont des enfants en âge scolaire ou d’autres responsabilités de soin, cela ajoute du stress et du travail supplémentaire et leur prend beaucoup de temps.

Voici trois éléments que j’ai retirés de mes lectures sur des épidémies et des catastrophes antérieures et qu’il convient de ne pas oublier dans la crise actuelle :

a) les initiatives communautaires ou familiales peuvent se multiplier et offrir des possibilités de développer des occasions d’améliorer l’éducation des filles et l’égalité des genres et d’autres formes d’égalité. Cependant, il est peu probable que ces initiatives locales répondent aux préoccupations relatives aux inégalités en l’absence de directives fortes du gouvernement ou d’autres instances insistant sur la notion importante de l’intérêt public à soutenir ces initiatives. Ce soutien peut prendre la forme de matériel d’information (radio, télévision, numérique), de programmes d’apprentissage et de modalités d’évaluation. Mais la structure des systèmes éducatifs revêt une importance capitale. Nous n’étions pas fort·e·s en termes d’inclusion avant la crise du COVID-19, mais nous devons apprendre de nos erreurs passées. Les récits des enfants qui sont retournés à l’école après la catastrophe de Fukushima ou les dégâts causés par le SIDA dans certaines communautés mettent en évidence de douloureuses expériences d’exclusion. Nous devons nous efforcer de prendre des mesures maintenant, dans le cadre de nos interventions éducatives pendant cette catastrophe afin d’éviter d’entrer dans une dynamique d’exclusion ;

b) l’épidémie de VIH nous a alerté·e·s sur la violence basée sur le genre en milieu scolaire, qui est, depuis, devenue un domaine majeur pour la recherche, la politique et la pratique, lesquelles doivent toutes se poursuivre dans la mesure où de nombreux commentateur·rice·s anticipent que la violence à l’égard des femmes pourrait être une conséquence de la peur et du déclin économique associés au COVID-19. Dans la foulée de la crise d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014, on a observé un taux élevé d’adolescentes enceintes. En Sierra Leone, après la fin de la crise liée à l’Ebola, le gouvernement a interdit aux filles enceintes d’aller à l’école. Toutefois, à mesure que le gouvernement a mieux compris les barrières liées au genre que rencontrent les filles pour exercer pleinement leur droit à l’éducation, un programme a été mis en œuvre par une organisation caritative, en coopération avec le gouvernement, pour admettre les filles enceintes à l’école. Le 30 mars, après cinq ans d’actions soutenues de plaidoyer par des organisations de la société civile, dont l’apogée a été une action judiciaire que le gouvernement a perdue, l’interdiction faite aux filles enceintes d’aller à l’école au Sierra Leone a été levée. Nous devons nous appuyer sur les gouvernements et les multiples formes de partenariats et d’initiatives de la société civile qui sont spécifiquement axés sur le genre dans l’éducation et les soutenir, ainsi que développer les connaissances et la compréhension des problèmes d’égalité des genres dans l’éducation par les responsables politiques à tous les niveaux ;

c) lorsque les moyens de subsistance sont sous pression, comme cela pourrait se produire en raison du choc économique qui va accompagner le COVID-19, les filles sont retirées des écoles. Le travail des filles est considéré comme essentiel pour compenser le manque de temps des femmes dans le ménage. Le travail des filles peut être indispensable à la subsistance de la famille. Les travaux sur les sécheresses liées à la crise climatique en Afrique de l’Est ont montré que davantage de filles sont déscolarisées et mariées plus jeunes afin d’assurer un revenu au ménage. Les Constitutions de nombreux pays et la signature de cadres comme les Objectifs de développement durable représentent un engagement de donner à tous les enfants au moins dix années d’enseignement de bonne qualité. Alors que la pandémie fait des ravages dans les économies nationales, cet engagement ne doit pas être abandonné et une attention particulière doit être accordée au soutien des filles à l’école. Cela veut dire mener une politique et une réflexion communes sur l’éducation, la santé et l’économie et réfléchir à la connexion de toutes les phases d’un système éducatif.

Nous disposons de nombreuses études montrant les inégalités de nos sociétés et de nos systèmes éducatifs que nous voulons résoudre et changer. Ce n’est qu’en unissant nos forces face à cette catastrophe que nous pourrons tenter d’y apporter une réponse constructive. Nous devons nous efforcer de trouver une autre voie, de nous écarter du travail parcellaire que nous avons réalisé pour garantir l’égalité des droits à une éducation de qualité pour tou∙te∙s. Nous avons suffisamment bien traduit cela dans les politiques et nous devons, d’une manière ou d’une autre, tenter de transformer tout cela en actions concrètes.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.