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Mondes de l'éducation

« Engagement en faveur du dialogue social dans l'éducation au sein de l'Union européenne : simple rhétorique ou changement de donne ? »

Publié 18 mai 2021 Mis à jour 12 janvier 2022
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Les structures qui garantissent une représentation effective du personnel de l'éducation dans le dialogue social avec les employeurs sont fondamentales pour des réformes efficaces et une éducation de qualité. Pourtant, la relation entre le dialogue social, la privatisation et les tendances de réforme de l'éducation est mal connue dans la littérature scientifique.

Dans le cadre du projet récemment terminé « Dialogue social et relations industrielles dans l’éducation : les défis de la gouvernance à niveaux multiples et de la privatisation en Europe» [1], nous avons tenté de commencer à combler ce manque de connaissances en examinant comment la dynamique complexe qui existe entre les réformes éducatives, la privatisation et le dialogue social a opéré en Belgique francophone, en Italie, en Pologne et en Suède depuis le krach financier de 2008.

En situant ces dynamiques dans le cadre de la gouvernance à niveaux multiples de l'Union européenne (UE), avec le Semestre européen [2] et le Socle européen des droits sociaux [3] comme points de référence spécifiques, nous avons examiné si un dialogue social équitable et la « démocratie industrielle » dans le secteur éducatif sont minés par la combinaison de pressions en faveur de réformes, de la privatisation, de la gouvernance technocratique, des contraintes budgétaires et des investissements limités. Le « nouveau départ pour le dialogue social» proclamé par la Commission européenne en mars 2015 a-t-il réellement changé la donne ou s’agit-il de simple rhétorique ?

La relation difficile entre le dialogue social et la pression en faveur des réformes dans la gouvernance de l'UE

Dans notre rapport final Rhétorique ou nouvelle règle du jeu : Dialogue social et relations industrielles dans l’éducation en regard de la gouvernance de l’UE et de la privatisation en Europe, nous mettons en exergue une tension dans la gouvernance de l'UE lorsqu'il s'agit de promouvoir le dialogue social dans l'éducation.

D'un côté, nous identifions un discours mettant l'accent sur le dialogue social, l'inclusion et l'implication des parties prenantes à tous les niveaux, y compris les partenaires sociaux, les organisations représentatives d'intérêts, les entreprises et autres parties prenantes. La profession enseignante et ses représentant·e·s sont ici reconnu·e·s comme jouant un rôle important dans la préparation et la mise en œuvre des réformes.

Pourtant, d’un autre côté, nous démontrons également l’existence d’effets croissants de « verrouillage » résultant d’un usage accru d’une large gamme d’instruments politiques axés sur la compétition - tels que des référentiels et des indicateurs de performance au niveau de l’UE - qui dressent les États membres de l’UE les uns contre les autres.

Ces dispositifs s'accompagnent de mesures et de sanctions qui, dans certains États membres, poussent les programmes de réforme structurelle vers la technocratisation et la managérialisation, dans les secteurs de l'éducation et au-delà, empêchant ainsi un dialogue effectif et en temps utile entre les partenaires sociaux.

Plus divisée qu’unie

« Unie dans la diversité», telle est la devise de l'UE, mais en matière de dialogue social dans l'éducation, le paysage à travers l'Europe reste un paysage de divisions et de contrastes saisissants.

Nos recherches démontrent que les quatre systèmes éducatifs que nous avons étudiés continuent de représenter des traditions différentes en termes de relations industrielles et de dialogue social. En outre, l'influence des institutions de l'UE sur l'élaboration des politiques dans les États membres diffère considérablement.

Les tensions entre le dialogue social inclusif et la pression des réformes structurelles sont donc très différentes selon les systèmes éducatifs des États membres de l'UE, qui se trouvent dans des situations très différentes lorsqu'il s'agit de répondre aux recommandations des institutions de l'UE, en raison à la fois des héritages historiques et des circonstances politiques, économiques et sociales actuelles.

À cet égard, la recherche montre comment la tendance au managérialisme technocratique, aux incitations basées sur les résultats, aux partenariats public-privé et à la privatisation de l'éducation, souvent encouragée par la gouvernance de l'UE, détériore parfois les conditions du dialogue social.

Nous avons constaté que l'écart entre la rhétorique et la réalité est le plus évident dans le cas de l' Italie. Dans ce pays, la portée du dialogue social centralisé et de la négociation collective a été limitée ces dernières années par la combinaison d'un contrôle gouvernemental étatique renforcé, de mesures d'austérité et d'une réglementation du travail similaire au secteur privé mettant l'accent sur l'école et le·la travailleur·euse individuel·le comme les éléments les plus importants pour la négociation et la mobilisation. En Italie, la libéralisation et la privatisation de l’éducation ont eu des effets négatifs sur l’autonomie professionnelle, les conditions de travail, les salaires, la sécurité de l’emploi et la charge de travail des enseignant·e·s.

De même, de nouvelles réformes axées sur la Nouvelle Gestion Publique ( New Public Management, en anglais) ont joué ces dernières années un rôle important en Belgique francophone, où le dialogue social dans l'éducation a été conditionné par une intervention croissante de la part de l'État.

En Pologne, des institutions de dialogue social existent, mais les processus continuent de souffrir du manque de normes. Les membres des syndicats rapportent que le dialogue social et la négociation collective sont encouragés dans une certaine mesure, mais la consultation a trop souvent un caractère purement symbolique, servant de façade à des changements rapides de politique. Une telle rhétorique était évidente lors de la récente vague de réformes qui a changé la structure de l'école et, en fin de compte, reflété les préférences du parti au pouvoir.

Enfin, la Suède offre un cas fascinant en tant que pays avec un héritage exceptionnel de démocratie industrielle et de dialogue social, mais où le système éducatif a été radicalement transformé depuis les années 1990 à travers la décentralisation et à l'expansion de l'offre et des services privés. L'analyse d'une vaste initiative, à partir de 2013, visant à introduire une nouvelle étape dans la carrière des enseignant·e·s, révèle que le système suédois est également confronté à de sérieux défis pour créer des conditions qui fonctionnent pour les enseignants·e·s à titre individuel, pour la profession en tant que collectif et vers la qualité et l'éducation inclusive pour toutes et tous. Partant de l'hypothèse que l'augmentation de l’écart salarial entre les enseignant·e·s par le biais de subventions de l'État rendrait la profession enseignante plus attractive et améliorerait les résultats d'apprentissage des étudiant·e·s, la réforme nationale des carrières n'a donc pas suffisamment pris en compte les implications en termes de conditions d'emploi des enseignant·e·s, de parcours de carrière et de socle de connaissances professionnelles au niveau national, laissant ces questions fondamentales en grande partie à la discrétion des autorités scolaires de chaque établissement.

En bref, de sérieux défis nous attendent en termes de mise en œuvre du Principe 8 du Socle européen des droits sociaux « Dialogue social et participation des travailleurs », qui appelle les partenaires sociaux à être consultés sur la conception et la mise en œuvre des politiques. Les résultats de notre projet suggèrent une image nuancée où les mécanismes de gouvernance de l'UE, et le Semestre européen en particulier, ont renforcé dans certains États membres l'engagement en faveur du dialogue social entre les syndicats et les employeurs, tandis que dans d'autres, ils ont marginalisé les partenaires sociaux et poussé la réforme de l'éducation vers le management technocratique, l'individualisation et la concurrence.

Dans le contexte actuel de la pandémie de COVID-19 et de l'adoption du Plan de relance pour l’Europe, les écarts potentiels entre la rhétorique et les réalités de la gouvernance de l'UE, et la manière dont ils se manifestent dans différents contextes nationaux à travers l'Europe, doivent être suivis de près.

Notes

[1] Coordonné par le Comité syndical européen de l'éducation (CSEE), le projet impliquait une collaboration entre nos trois universités : Louvain-la-Neuve (Belgique), Naples (Italie) et Varsovie (Pologne).

[2] Lancé en 2010, le Semestre européen est un cycle annuel de coordination des politiques économiques, budgétaires et sociales. Les principaux résultats du semestre sont des recommandations par pays émises par le Conseil de l'UE à l’attention de chaque État membre. Les politiques concernant l’éducation, la formation et le marché du travail sont considérées comme faisant partie du Semestre européen.

[3] Le Socle européen des droits sociaux a été lancé lors du Sommet social de Göteborg en novembre 2017. Le Socle comprend vingt principes visant à « accorder aux citoyens et citoyennes des droits nouveaux et plus efficaces », répartis en trois catégories principales : i) Égalité des chances et accès au marché du travail ; ii) Conditions de travail équitables ; et iii) Protection et insertion sociales.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.