Ei-iE

Mondes de l'éducation

Les syndicats de l'enseignement au premier plan face à la pandémie : la réalité derrière les gros titres

Publié 5 octobre 2021 Mis à jour 5 octobre 2021
Écrit par:

La Journée mondiale des enseignant·e·s 2021 est l'occasion de célébrer les prouesses extraordinaires des travailleur·euse·s de l'éducation pendant la pandémie et de reconnaître le travail difficile qu’il·elle·s continuent d’accomplir pour aider les jeunes à faire face à un avenir complètement remodelé par une pandémie mondiale.

« La Journée mondiale des enseignant·e·s est aussi une journée visant à rendre hommage à tou·te·s ces travailleur·euse·s de l'éducation qui donnent de leur temps pour soutenir leurs collègues en agissant en tant que représentant·e·s syndicaux·ales. »

À la mi-février 2020, des chaînes d'information anglaises signalaient la possibilité que certaines écoles de la ville de Brighton puissent être fermées en raison d'une infection par le virus COVID-19. Moins d'un mois plus tard, les écoles à travers l'Europe et au-delà étaient fermées et l’enseignement rapidement remplacé par un format à distance. Le temps avait manqué pour se préparer et aucun plan n'existait pour dire à quiconque ce qu'il fallait faire.

Que le basculement vers l'apprentissage à distance ait été géré avec autant de succès (un rapport de recherche de l'Internationale de l’Éducation (IE) aborde les questions principales) témoigne de la créativité, de la résilience et de l'engagement des enseignant·e·s. Sans ignorer un seul instant les énormes inégalités d'accès aux infrastructures en ligne, la grande majorité des enseignant·e·s du monde entier étaient confronté·e·s au même défi : comment développer des méthodes d'enseignement radicalement différentes, en utilisant des technologies pour lesquelles il·elle·s n'avaient souvent reçu qu'une formation limitée. Dans les mois qui ont suivi, toutes ces compétences ont été requises en abondance, car les enseignant·e·s ont cherché à soutenir leurs élèves à travers toutes les incertitudes qui ont caractérisé les 18 mois qui viennent de se dérouler.

« Pendant la pandémie, les syndicats d'enseignants ont joué un rôle clé en représentant les points de vue des travailleur·euse·s de l'éducation de première ligne pendant une période présentant des difficultés sans précédent. Il s'agissait d'un travail complexe et difficile, que celles et ceux qui ont le pouvoir (les hommes et femmes politiques, mais aussi les médias) ignorent fréquemment et déforment souvent. »

En temps voulu, des études de recherche pourraient révéler le coût réel que les enseignant·e·s ont payé en termes de bien-être physique et mental, mais pour l'instant je me fie aux innombrables conversations que j'ai eues avec des enseignant·e·s qui racontent les 18 derniers mois comme la plus difficile expérience dans leur vie professionnelle. La Journée mondiale des enseignant·e·s est un jour où celles et ceux d'entre nous qui ne sont pas des enseignant·e·s travaillant avec des enfants dans les salles de classe ont l’occasion de reconnaître cet effort considérable.

Pendant la pandémie, les syndicats d'enseignants ont joué un rôle clé en représentant les points de vue des travailleur·euse·s de l'éducation de première ligne pendant une période présentant des difficultés sans précédent. À l'époque, je menais un projet de recherche avec les syndicats européens de l'enseignement et, à bien des égards, la recherche s'est transformée en une étude sur la façon dont les syndicats de l'enseignement ont travaillé pour soutenir leurs membres et les systèmes d'enseignement public tout au long de la crise.

Comme on pouvait s'y attendre, une grande partie de ce travail visait à faire en sorte que les écoles soient des lieux sûrs et que chacun·e puisse y travailler et étudier. Il s'agissait d'un travail complexe et difficile, nécessitant des interventions à plusieurs niveaux. Dans de nombreux cas, ces interactions étaient constructives et les syndicats et les employeurs pouvaient travailler ensemble pour s'assurer que le travail était effectué en toute sécurité et que les étudiant·e·s étaient soutenu·e·s. Il n'y a peut-être pas toujours eu un accord, mais des points de vue pouvaient être exprimés et des problèmes résolus (l'expérience de la Finlande en offre un exemple). Dans d'autres cas, un tel dialogue était absent et les gouvernements étaient réticents à collaborer avec celles et ceux qui comprenaient le mieux la réalité dans les écoles (syndicats et autres). Dans ces cas, les syndicats devaient défendre leur cause avec plus de force.

Le rôle des syndicats de l'enseignement dans la sécurisation des lieux de travail a été essentiel pendant la pandémie et dans de très nombreux cas, la gestion de la crise de la COVID dans les écoles a été remarquable au vu des circonstances. Cependant, ce n'était qu'un élément du tableau.

Dans de nombreux cas, les syndicats de l'enseignement ont fait pression sur les employeurs pour garantir que tant les étudiant·e·s que les enseignant·e·s aient accès à la technologie nécessaire pour rendre l'apprentissage en ligne possible, et dans un certain nombre de cas, les syndicats de l'enseignement ont fourni un développement professionnel direct à leurs membres qui essayaient désespérément d'adapter leur pratique pédagogique à des circonstances totalement nouvelles. Certains syndicats de l'enseignement se sont organisés pour fournir du matériel d'apprentissage aux enfants vulnérables qui étudient à la maison, ou ont plaidé pour que les enfants ayant droit à des repas scolaires gratuits puissent toujours en bénéficier lors de la fermeture de leur établissement ou pendant les périodes de vacances. Un résumé des réponses des syndicats de l'enseignement au début de la pandémie est disponible ici.

Ce ne sont là que quelques exemples du travail entrepris par les enseignant·e·s, à travers leurs syndicats, pour s'assurer que les étudiant·e·s soient soutenu·e·s et que l'apprentissage se poursuive pendant la crise de la COVID. C'est un travail qui doit être reconnu car c'est un travail que celles et ceux qui ont le pouvoir (les hommes et femmes politiques, mais aussi les médias) ignorent fréquemment et déforment souvent.

Par exemple, dans mon propre pays, les médias n'ont pas tardé à affirmer que les syndicats d'enseignants voulaient simplement fermer les écoles, un commentateur arguant que les syndicats « refusaient de travailler au plus fort de la pandémie » et ajoutant que « les enseignantes et enseignants ont passé la majeure partie de 2020 à faire tout leur possible pour ne pas enseigner ». Bien sûr, c'est une fiction : les enseignant·e·s en Angleterre n'ont jamais refusé d'enseigner, n'ont jamais fait grève et les écoles n'ont jamais complètement fermé mais sont restées ouvertes pour les enfants vulnérables et les enfants des travailleur·euse·s essentiel·le·s.

Je n'ai jamais rencontré un·e seul·e enseignant·e qui souhaitait passer une journée de plus que ce qui était absolument nécessaire à dispenser un apprentissage en ligne – mais pourquoi laisser la vérité entraver une bonne première page ?

Une autre version de l'argumentaire selon lequel les syndicats d'enseignants ne s'intéressaient qu'à la « fermeture » des écoles a récemment été présentée dans un article de Susanne Wiborg, de l' University College de Londres, dans lequel elle affirme que l'influence des syndicats est le facteur clé déterminant la fermeture ou l’ouverture des écoles. Dans son article, Susanne fait référence à l’expérience de cinq pays européens, puis étend son argumentation aux États-Unis via une autre étude. Dans le travail auquel j'ai fait référence précédemment, j'ai entrepris des travaux dans tous les pays européens auxquels Susanne fait référence pendant la pandémie et je ne peux pas souscrire à ses conclusions, notamment parce que le modèle d'organisation syndicale et de fermetures d'écoles qu'elle décrit ne se reflète pas dans les données. Les tendances des fermetures d'écoles à travers l'Europe ne peuvent s'expliquer par les interventions des syndicats d'enseignants ou par la mesure approximative du pouvoir des syndicats.

Cependant, dans ma réponse, je veux me concentrer sur le pays que je connais le plus, et le pays avec lequel Susanne ouvre son article et auquel elle consacre le plus d'espace : l'Angleterre. Dans l'article, Susanne suggère que les syndicats de l'enseignement ont un point « les enseignantes et enseignants d'abord » dans leur programme et qu’ils placent les « intérêts acquis » de leurs membres avant toute autre considération. Le conflit qui en résulte est alors présenté comme un gouvernement (agissant dans l'intérêt des enfants) contre les syndicats de l'enseignement (agissant dans l'intérêt personnel des enseignant·e·s). Je ne suis pas sûr que la grande majorité des chef·fe·s d'établissement, des enseignant·e·s, des personnels de soutien à l'éducation ou même des parents verraient l'expérience en Angleterre pendant la pandémie en des termes aussi simples – cela réduit une situation complexe à un conflit binaire que Susanne présente comme « la science » (gouvernement) vs « la politique » (syndicats). Cette approche dépouille l'analyse de tout contexte significatif et ignore complètement les problèmes causés par un manque de confiance du public dans le gouvernement de Boris Johnson. Elle suppose que le gouvernement agit de manière rationnelle et compétente dans l'intérêt des enfants sur la base d'une science qui fournit des solutions politiques sans équivoque. Ce n'est pas ce que nous avons observé en Angleterre.

Dès le départ, le gouvernement conservateur avait tergiversé par rapport à la pandémie, et il est clair que sa réponse initiale, guidée par le conseiller scientifique en chef du pays, était de développer une approche d'immunité collective contre la COVID. Ces premières erreurs de calcul devaient s'avérer dévastatrices alors que le pays connaissait des niveaux record d'infection. Pour beaucoup, la gestion de la pandémie par le gouvernement ne s'est pas caractérisée par une réponse rationnelle « scientifique », mais par le chaos et l'incohérence qui se sont ensuite reflétés dans les politiques relatives aux écoles. On craignait également que le gouvernement soit motivé par ses propres considérations politiques et que « la science » soit souvent médiatisée par les points de vue du gouvernement sur ce qui était politiquement opportun (y compris devoir répondre à un groupement bien financé au sein du Parti conservateur qui a constamment fait pression en faveur de politiques anti-confinement).

Voici donc une partie du contexte qui a encadré la politique gouvernementale en matière d'éducation, que les personnes travaillant dans les écoles ont ressentie au mieux comme incohérente, et au pire comme frappée du sceau de l’incompétence. C'est un point de vue qui, je crois, est confirmé par le rapport d’un groupe de réflexion, l' Institute for Government, qui a conclu qu'« entre 2020 et 2021, les élèves, les parents et les enseignants étaient trop souvent déconcertés par des revirements de dernière minute et mal communiqués au sujet des fermetures d'écoles et des examens ». Le rapport suggère que le gouvernement était préoccupé par l'affirmation d'un contrôle central (alors que les autorités locales avaient les meilleures connaissances de la réalité sur le terrain) et incapable de développer des plans d'urgence pour répondre à des problèmes qui auraient pu être facilement anticipés. C'est dans ce contexte que travaillaient les enseignant·e·s en Angleterre, et il n'est pas surprenant que le ministre responsable au sein du gouvernement ait été sommairement limogé au début de la nouvelle année scolaire.

« L'expérience de la pandémie a mis en évidence le rôle important joué par les syndicats de l'enseignement dans une société démocratique où il est juste et approprié que les gouvernements soient tenus responsables de leurs actes. »

Je ne suis pas d'accord avec Susanne lorsqu’elle dit que la réponse des syndicats d'enseignement en Angleterre était un cas de « science » contre « politique », mais je vois plutôt une profession s'organiser collectivement, comme elle doit le faire, pour assurer la direction d'un système éducatif confronté à une crise de santé publique, sans leadership compétent du gouvernement. Dans de nombreux autres pays, ce leadership a été assuré par les gouvernements et les enseignant·e·s, par l'intermédiaire de leurs syndicats, travaillant ensemble de manière constructive pour faire face aux problèmes posés par la pandémie (dans le rapport de recherche mentionné ci-dessus, nous citons la Norvège et la République d'Irlande comme deux exemples parmi tant d'autres), mais lorsque cela n'était pas possible, les syndicats du personnel enseignant devaient réagir en conséquence.

L'expérience de la pandémie a mis en évidence le rôle important joué par les syndicats de l'enseignement dans une société démocratique où il est juste et approprié que les gouvernements soient tenus responsables de leurs actes. Suggérer que les syndicats d'enseignants ne sont motivés que par les intérêts de leurs propres membres, qui s'opposent implicitement aux intérêts des élèves et des parents, présente le monde comme un jeu à somme nulle dans lequel il n'est possible d'être que d'un côté ou de l'autre. Ce n'est pas le monde tel que les enseignant·e·s le comprennent. Les enseignant·e·s ne considèrent pas la mise en place d’environnements de travail sûrs comme allant à l'encontre des intérêts des étudiant·e·s (bien au contraire) et les enseignant·e·s ne considèrent pas leurs relations avec les étudiant·e·s et les parents comme hostiles. Présenter les relations de cette manière est non seulement inexact, mais c'est inutile, car cela va à l'encontre de la création d'un système de leadership collaboratif bénéficiant d’une confiance élevée qui sera essentiel à la construction de la reprise post-pandémique.

La Journée mondiale des enseignant·e·s 2021 est une occasion importante de reconnaître le travail des enseignant·e·s (et en fait de toutes celles et tous ceux qui travaillent dans les établissements scolaires) qui ont travaillé si dur pour assurer la continuité de l'apprentissage des étudiant·e·s pendant la pandémie. Il est particulièrement important de se souvenir de celles et ceux qui sont tombé·e·s malades, parfois gravement, parfois mortellement, simplement parce qu'il·elle·s sont allé·e·s travailler.

Mais la Journée mondiale des enseignant·e·s est aussi une journée visant à rendre hommage à tou·te·s ces travailleur·euse·s de l'éducation qui donnent de leur temps pour soutenir leurs collègues en agissant en tant que représentant·e·s syndicaux·ales, des haut·e·s dirigeant·e·s qui sont souvent vilipendé·e·s dans les médias, aux innombrables délégué·e·s syndicaux·ales, y compris les délégué·e·s en charge de la santé et de la sécurité, dont le travail n'est vu que par leurs collègues immédiat·e·s mais est extrêmement précieux. À l'occasion de la Journée mondiale des enseignant·e·s, nous devons également les remercier.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.