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Mondes de l'éducation

Photo: morgantsettafilms.com
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S’adapter à la COVID-19 : l’apprentissage autochtone inspiré de la terre

Publié 23 août 2022 Mis à jour 23 août 2022
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« Il faut retourner à la terre. Voilà ce que nous disent nos aîné·e·s. C’est le moment idéal pour montrer à la jeune génération comment allumer un feu le matin ou monter une tente. Le printemps approche. Persuader les familles de retourner à la terre est un moyen idéal de s’isoler. »

Norman Yakeleya, chef national de la nation déné

La pandémie de COVID-19 a posé une série de défis spécifiques aux communautés autochtones du Nord du Canada. En ce qui concerne plus particulièrement les programmes d’apprentissage autochtone inspiré de la terre, lesquels supposent un contact des élèves et des enseignant·e·s avec la terre, le passage à l’enseignement en ligne a nécessité des réponses uniques et créatives de la part des communautés autochtones et des éducateur·trice·s sur le terrain.

Au Dechinta Centre for Research and Learning [1], un centre d’éducation autochtone inspirée de la terre situé dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada, la pandémie a d’abord représenté une menace pour le déploiement de nos programmes adressés à diverses communautés dénées du Nord. Durant la pandémie, les aîné·e·s et gardien·ne·s des savoirs dénés ont insisté sur le fait que le retour à la terre était un moyen sûr de se préserver de la COVID-19, encourageant également les familles à s’adonner à leurs pratiques culturelles et à se connecter à la terre et à leur identité autochtone. Au centre Dechinta, l’autodétermination des Dénés fait partie intégrante de nos engagements. Nous avons refusé de transposer tous nos programmes en ligne et avons trouvé des solutions hybrides qui ont encouragé les familles et la jeune génération dénées à accéder à leurs terres en toute sécurité.

En 2020, nous avons également organisé une série de webinaires, suivis en 2021 de la préparation d’un rapport [2] visant à examiner les risques que représente le transfert en ligne de l’enseignement autochtone inspiré de la terre et à proposer des solutions potentielles, des mesures d’atténuation ou des alternatives pour l’organisation d’un apprentissage immersif en groupe durant la pandémie.

Ce processus nous a appris que l’éducation autochtone dénée inspirée de la terre était possible durant une pandémie, mais qu’elle ne pouvait pas être organisée en ligne ou adaptée aux cadres institutionnels « occidentaux ». Il n’est pas possible de supprimer la terre dont s’inspire l’enseignement des Dénés, car la terre est elle-même le lieu de l’apprentissage. La terre reste et restera le fondement de l’autodétermination et de l’apprentissage des Dénés inspiré de la terre.

Apprentissage autochtone inspiré de la terre au Canada : résistance coloniale et reconquête culturelle

Les programmes d’apprentissage autochtone inspiré de la terre sont indispensables à l’autodétermination future des autochtones du Canada et à la revitalisation de leur culture. Afin d’assurer la réussite de ces programmes, la terre n’est pas une option, mais bien une condition préalable indispensable. La terre a toujours été une source essentielle de connaissances et d’apprentissage pour les nations autochtones, ayant des répercussions sur leurs pratiques éthiques, leurs systèmes politiques, leurs langues et leurs visions du monde. La colonisation, l’implantation européenne et les violences qui y sont liées ont considérablement perturbé ces systèmes de connaissances, étant donné que les communautés et les enfants autochtones ont été privés de leurs terres et de leurs relations communautaires. L’apprentissage autochtone inspiré de la terre vise à contrer ces reliquats de la domination coloniale pour restaurer les savoirs, l’identité et les pratiques autochtones intimement liés à la terre.

Il ressort du résumé de notre recherche (réalisée en partenariat avec Alex Wilson) que les programmes inspirés de la terre et dirigés par les autochtones au Canada sont souvent développés sur la base des objectifs suivants :

  • Améliorer les résultats scolaires et les perspectives de carrière des élèves autochtones et répondre aux taux de fréquentation scolaire extrêmement bas des jeunes autochtones dans l’enseignement supérieur et post-secondaire.
  • Améliorer les compétences et les savoirs inspirés de la terre parmi les élèves, au travers de la mise en valeur des connaissances, de l’identité et des pratiques autochtones.
  • Créer des programmes d’études culturellement adaptés aux élèves autochtones et leur offrir des espaces sûrs pour leur apprentissage et la pratique de leur culture.
  • Créer des options d’apprentissage alternatives pour les élèves autochtones, qui ne sont pas ancrées dans des systèmes colonialistes.
  • Proposer un modèle d’éducation qui défend l’autodétermination des nations autochtones, en permettant à ces dernières de contrôler leurs propres systèmes éducatifs et en offrant aux élèves les moyens de devenir des membres informé·e·s et actif·ive·s de leurs communautés.

L’apprentissage autochtone inspiré de la terre n’est pas uniquement une nouvelle forme d’enseignement « en plein air ». Il est une composante essentielle de la construction d’une nation, de la résurgence politique et culturelle, de la décolonisation et de la lutte contre la violence sexiste. Il joue également un rôle important en termes de santé mentale et physique, en offrant aux élèves, aux éducateur·rice·s et aux membres de la communauté la possibilité de se (re)connecter aux méthodes d’apprentissage et à l’identité des autochtones, en les recentrant sur leurs propres programmes éducatifs et en leur procurant les outils leur permettant de prendre soin d’eux-mêmes, de leurs communautés et de leurs terres, au travers de l’application des pratiques et théories autochtones.

Retour à la terre : la COVID-19 et les risques liés à la mise en ligne de l’enseignement des Dénés

Même si les pratiques liées à la terre sont bénéfiques pour la santé, la résilience et l’autodétermination des communautés dénées, la pandémie a rendu difficile le fonctionnement efficace des programmes d’apprentissage autochtone inspiré de la terre dans le Nord du Canada. Contrairement à d’autres formes d’apprentissage, notre recherche a révélé que les éducateur·rice·s qui enseignent les savoirs autochtones liés à la terre dans le Nord du Canada ont rencontré des difficultés spécifiques durant la pandémie, en particulier lors du passage à l’apprentissage en ligne, qu’il s’agisse de l’accès à Internet et aux technologies au sein des communautés isolées ou de l’exploitation des connaissances dans le cadre de l’apprentissage déné en ligne.

Nous avons notamment constaté que, pour les élèves, l’apprentissage des lois, de l’éthique et des savoirs et pratiques dénés (et autochtones) devait être ancré dans le réel, nécessitant dès lors un contact direct avec la terre, entre eux et en présence de leurs instructeur·rice·s et des aîné·e·s. Exemple, les pratiques éthiques associées aux offrandes de tabac, à la prière, à la chasse à l’élan ou au caribou, à l’installation d’un camp ou à la pêche ne peuvent s’apprendre que sur le terrain. De même, une des composantes les plus importantes de l’apprentissage immersif inspiré de la terre consiste à faire participer les élèves à la vie communautaire. Les leçons que l’on peut tirer de cette expérience en termes de consentement, de réciprocité, de respect et de mise en relation ne peuvent être reproduites de manière isolée ou en ligne.

En réponse à ces préoccupations, les dirigeant·e·s, les aîné·e·s et les communautés dénées, ainsi que les programmes de terrain ont privilégié d’autres moyens pour faire valoir les pratiques et l’éducation inspirées de la terre dans le Nord du Canada. Dans le cadre de notre recherche, nous avons organisé une entrevue avec Doug Williams, aîné de la Première Nation de Curve Lake, qui nous a rappelé l’importance de mettre l’accent sur la terre et la tradition dans les réponses des peuples autochtones à la COVID-19. Ce dernier confirme en effet ce que les autres participant·e·s au webinaire ont souligné que les peuples autochtones doivent trouver d’autres moyens pour retourner sur leurs terres et pratiquer leurs traditions, tout en accordant la priorité à leur santé et à leur sécurité. Le retour à la terre sera différent en cette période, mais s’il est effectué de manière sûre et isolée, il peut être une source de guérison et de bien-être pour les communautés.

Prioriser l’apprentissage des Dénés en période de pandémie : promouvoir le bien-être et l’autodétermination des communautés sur le terrain

Durant la pandémie de COVID-19, le centre Dechinta a répondu aux besoins urgents des communautés dénées en adoptant de nouvelles approches pour le retour à la terre des jeunes et de leurs familles en toute sécurité. Au cours de l’été 2020, nous avons commencé à axer notre programme adressé aux Premières Nations Tu Lidlini Dena, Yellowknives Dene et Dehcho sur l’apprentissage déné inspiré de la terre de la manière suivante :

  • Distribution des ressources matérielles nécessaires pour l’apprentissage inspiré de la terre, afin d’encourager l’accès en toute sécurité à la terre et fourniture de fonds et de matériel de brousse aux familles et aux jeunes.
  • Renforcement des capacités éducatives et des compétences des jeunes pour la mise en pratique des lois des Dénés portant sur les pratiques liées à la terre, avec notamment une série de vidéos Dehcho.
  • Augmentation de la quantité et de la diversité des aliments traditionnels disponibles pour la communauté en période de pénurie économique et alimentaire, en rétribuant des exploitants agricoles pour distribuer du poisson, des viandes et des médicaments.
  • Production de ressources pour la pratique et la transmission de la langue sur plusieurs générations.
  • Production de vidéos pédagogiques intégrant les principaux éléments de la philosophie, de l’éthique et de la langue autochtones.

Nous souhaitions également publier en ligne des ressources théoriques et pratiques adressées aux éducateur·rice·s, aux élèves et aux membres de la communauté, afin de leur permettre de développer leur propre approche de l’éducation et des pratiques autochtones inspirées de la terre en période de COVID-19. En partenariat avec Alex Wilson, nous avons travaillé sur un projet visant à produire un document regroupant des ressources et des outils pour l’apprentissage inspiré de la terre, accessibles à distance. Notre recherche a également retenu plusieurs approches alternatives et sûres de l’éducation autochtone lorsque l’accès à la terre et à l’autre est limité. Un rapport complet de ces résultats est disponible sur notre site web.

Pour nous, il est clair que la sagesse de la terre et son rôle central dans la vie et la politique des Dénés constituent le fondement de l’apprentissage qui s’en inspire et que les formats d’enseignement en ligne ne sont pas capables de remplacer ce type de pédagogie. Alors que sommes toujours confronté·e·s aux difficultés engendrées par une pandémie mondiale, nous irons de l’avant et trouverons des moyens créatifs et alternatifs pour mener à bien nos pratiques liées à la terre, vivre en harmonie avec les autres et participer aux cérémonies, assurer un apprentissage bénéfique pour notre bien-être mental, physique et spirituel, et affirmer et assurer l’autodétermination des Dénés.

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La Journée internationale des peuples autochtones est célébrée chaque année le 9 août afin de sensibiliser le public aux droits de ces populations dans le monde. Le thème de cette année, Rôle des femmes autochtones dans la préservation et la transmission des savoirs traditionnels, offre l’occasion de reconnaître et d’examiner les différentes voies par lesquelles les systèmes éducatifs influent sur les droits des peuples autochtones, notamment ceux des femmes et des filles. À cette occasion, l’Internationale de l’Éducation lance une série de blogs visant à relayer la voix et les points de vue des peuples autochtones et des personnes qui les soutiennent à travers le monde. Cette série étudie les méthodes de travail utilisées par les expert·e·s de l’éducation, les militant·e·s, les chercheur·euse·s et les enseignant·e·s autochtones pour garantir une éducation de qualité centrée sur les systèmes de connaissances autochtones.

Si vous souhaitez contribuer à cette série de blogs, veuillez contacter Lainie Keper à l’adresse Lainie.Keper[at]ei-ie.org.

1. ^

Au Dechinta Centre for Research and Learning, nous sommes uni·e·s par le respect de nos terres et notre souhait de faire revivre et de mettre en pratique nos savoirs et notre identité dans le Nord canadien et au-delà. En partenariat avec les membres et les aîné·e·s de notre communauté locale, nous proposons des programmes communautaires et éducatifs inspirés de la terre et adaptés culturellement. Nous sommes le seul centre, au niveau mondial, à offrir un programme de formation post-secondaire accrédité inspiré de la terre, permettant à nos élèves d’obtenir des crédits universitaires tout en acquérant les pratiques et connaissances culturelles, les compétences inspirées de la terre et les théories universitaires dans ce domaine.

2. ^

Ce rapport se veut complémentaire de la série de webinaires COVID-19 organisés par le centre Dechinta en 2020. Toutes les vidéos peuvent être visionnées sur le site web www.dechinta.ca/COVID19 et sur YouTube à l’adresse https://www.youtube.com/c/DechintaCentre. Les transcriptions écrites de ces webinaires sont également disponibles sur le site.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.