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Mondes de l'éducation

Photo: NeONBRAND / Unsplash.
Photo: NeONBRAND / Unsplash.

« Une formation accélérée pour les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s en Suède: le point de vue des syndicats », par Patrik Ribe.

Publié 20 juin 2019 Mis à jour 21 juin 2019
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En 2015, le nombre d’immigré·e·s demandeur·euse·s d’asile en Suède a atteint un niveau sans précédent. Au total cette année-là, la Suède a accueilli 163.000 réfugié·e·s demandeur·euse·s d’asile. Pour nous en tant que syndicat de l’enseignement, il était donc naturel de concourir à la création d’un système qui permettrait de faire bon usage des compétences pédagogiques de ces nouveaux·elles arrivant·e·s.

Le Lärarförbundet a opté pour une approche holistique de la crise des réfugié·e·s. En 2015, nous avons mis au point une plateforme stratégique qui devait nous servir de boussole dans une période caractérisée par la prise de décisions politiques rapide en Suède. Notre plateforme contenait des propositions relatives à l’ensemble du système éducatif, depuis le niveau préscolaire jusqu’à l’éducation des adultes. Dans le cadre de ce processus, la formulation de propositions concrètes nous a permis d’avoir systématiquement un temps d’avance.

Nos propositions ont été formulées de façon claire par des membres actifs et bien informés au sein des groupes de référence du syndicat pour les différents niveaux du système éducatif. Le syndicat a également mené des enquêtes pour comprendre les points de vue de nos membres sur les défis posés, alors qu’un nombre record d’enfants et de jeunes primo-arrivant·e·s devaient être intégré·e·s rapidement dans nos écoles. Grâce à notre plateforme stratégique, nous pouvions devenir un acteur central, écouté par les décideurs. Notre programme de travail a contribué à informer l’opinion publique ainsi que les décisions politiques qui ont été prises.

Une formation accélérée pour les enseignant·e·s

Bon nombre des réfugié·e·s arrivé·e·s ces dernières années étaient issu·e·s de Syrie, et certain·e·s étaient diplômé·e·s de l’enseignement supérieur et jouissaient d’une expérience dans le domaine de l’enseignement. Pour nous en tant que syndicat d’enseignant·e·s, il était important que nos membres fassent le nécessaire pour donner à leurs nouveaux·elles collègues les moyens d’enseigner dans les écoles suédoises. Par expérience, nous savions que les enseignant·e·s formé·e·s dans d’autres pays ont souvent beaucoup à apporter au système éducatif suédois, en termes de connaissances, d’expérience et de nouvelles perspectives.

Le gouvernement suédois a pris l’initiative de mettre en place une formation en accéléré au profit des enseignant·e·s, dès lors qu’un groupe relativement important d’immigré·e·s disposait d’une expérience dans l’enseignement. Le processus d’élaboration de cette nouvelle formation accélérée impliquait les partenaires sociaux, l’Agence nationale de l’emploi ainsi que les universités qui proposent une formation à l’enseignement. Mon rôle en tant qu’analyste syndical était d’élaborer des propositions et de parvenir à des accords qui devaient déboucher sur un modèle de formation raisonnable.

Le processus a été intense, mais tous les intervenant·e·s ont œuvré dans la même direction, et ce de façon tout à fait impressionnante. Toutes les parties prenantes se sont entendues sur le fait que les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s devaient pouvoir accéder à de bonnes conditions afin de s’établir en tant que professionnel·le·s. Tout le reste était considéré comme une perte non seulement pour les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s, mais aussi pour les écoles suédoises étant donné que la pénurie d’enseignant·e·s en Suède était, et est encore, très marquée et est appelée à s’accentuer dans un proche avenir.

En tant qu’analyste syndical, il me tenait particulièrement à cœur d’abaisser l’ensemble des seuils inutiles qui empêchent les enseignant·e·s immigré·e·s d’intégrer la main-d’œuvre enseignante. Les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s devaient trouver ici un système cohérent et intelligible. Pour cela, il fallait notamment que toutes les autorités rencontrées par les enseignant·e·s engagés dans cette formation accélérée travaillent conjointement pour atteindre un même but. A cet égard, mes attentes étaient bien trop élevées. Un autre aspect important résidait dans la possibilité d’évaluer la formation accélérée. Cet espoir a lui aussi été anéanti.

Enfin, après six mois, un accord a été trouvé au sujet du modèle et de la mise en œuvre de la formation.

Modèle retenu pour la formation en accéléré: trois phases vers un certificat d’enseignant·e

La formation qui a été négociée se caractérise par des actions parallèles visant à définir pour les participant·e·s un cheminement individuel cohérent vers l’obtention d’un certificat d’enseignement suédois.

La première phase consiste en une session introductive étalée sur 26 semaines, qui comprend un volet pratique pour l’enseignant·e directement en classe ainsi qu’un volet théorique proposant une introduction à la pratique professionnelle au sein du système scolaire suédois. Le cours aborde des sujets tels que l’histoire du système scolaire suédois, son organisation et ses valeurs, la didactique, etc. Parallèlement, les participant·e·s étudient la langue suédoise dans le cadre d’un système d’enseignement régulier pour adultes: Swedish for Immigrants(SFI-le Suédois pour les immigré·e·s).

Au cours de la deuxième phase, les participant·e·s n’étudient plus que la langue suédoise afin de pouvoir postuler pour un cursus universitaire complémentaire qui se soldera par l’obtention d’un certificat d’enseignement. L’accès à la troisième phase académique est quant à lui conditionné par un test de langue.

La durée du cursus universitaire complémentaire, troisième phase, dépend de la formation à l’enseignement déjà suivie par chaque participant·e dans son pays d’origine. Cela dépend parfois des matières additionnelles étudiées et, dans d’autres cas, des compétences pédagogiques complémentaires.

Comment tout cela a-t-il fonctionné?

Entre les mois d’avril 2016 et février 2019, quelque 15.000 personnes ont pris part à la formation accélérée. Soixante pour cent étaient des femmes et 40 pour cent des hommes. Six universités ont proposé cette opportunité. Environ 10 pour cent des participant·e·s ont décroché, principalement celles et ceux pour qui il était nécessaire de suivre un programme d’études supplémentaires conséquent. Malheureusement, seul un nombre limité a pu intégrer la troisième phase de la formation.

Il est regrettable que le gouvernement ait décidé de qualifier cette formation d’« accélérée », et ce malgré les protestations de Lärarförbundet au cours des négociations, dès lors que le dispositif ne s’avère en rien rapide, à tout le moins pour le moment. Comme je l’ai mentionné plus tôt, aucun processus d’évaluation solide ne permet un suivi des participant·e·s, de la phase 1 à l’obtention du certificat d’enseignement, alors que nous autres, représentant·e·s du syndicat d’enseignant·e·s, avons insisté sur cet aspect auprès du gouvernement à plusieurs reprises. Mais peu de participant·e·s ont pu répondre aux critères conditionnant l’accès à la troisième et dernière phase d’enseignement complémentaire. Il faut un certain temps avant de pouvoir utiliser de façon fonctionnelle une langue, qui plus est dans un contexte professionnel, et il est, selon nous, indispensable de respecter cette période.

Comme je l’ai précédemment évoqué, un problème de taille réside dans l’établissement d’une bonne collaboration entre les autorités publiques, qui est nécessaire pour maintenir le système. Les lourdeurs administratives, les frais d’administration, les mandats inflexibles, l’insuffisance de la gestion nationale et la diversité des cultures des organismes impliqués ont, hélas, contribué à maintenir les seuils que nous espérions, en tant que syndicat, éradiquer. Cela place les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s dans une situation difficile, source de frustration et de désespoir.

L’avenir de la formation accélérée

L’avenir de la formation accélérée est incertain. Le nombre d’immigré·e·s qui arrivent a radicalement diminué, de même que le nombre de primo-arrivant·e·s ayant une expérience de l’enseignement. La formation en accéléré représente un investissement de taille, et important, mais un certain nombre d’aspects devraient, selon nous, être repensés différemment. Il est souhaitable de mettre au point une formation accélérée 2.0. Il convient d’améliorer la collaboration entre les autorités, de développer et d’améliorer les possibilités d’étude du suédois et d’établir un système de suivi afin d’obtenir une image claire de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et ainsi remédier aux lacunes constatées.

Bien qu’imparfait, le consensus sur les besoins et les objectifs de la formation, qui s’était dégagé entre les parties ayant pris part aux négociations initiales, demeure. Nous espérons que la formation accélérée pourra être modifiée de sorte que les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s soient confronté·e·s à un système robuste, intelligible et durable dans le temps. Tous les enseignant·e·s primo-arrivant·e·s doivent jouir de bonnes conditions afin de pouvoir continuer d’exercer dans leur nouveau pays d’accueil.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.