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Journée mondiale des enseignants

#JournéeMondialeDesEnseignants | Les leçons de la pandémie : «Un monde sans enseignant·e·s», par Andy Hargreaves.

Publié 3 octobre 2020 Mis à jour 7 octobre 2020
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Jamais il n'y a eu de moment plus important que ce moment précis pour prendre en considération et apprécier ce que de grand·e·s enseignant·e·s ont fait pour nos enfants et pour nous. Nous avons vu à quoi ressemble le monde lorsque les enseignant·e·s sont enlevé·e·s à nos enfants. Nous avons été témoins en ligne de la façon dont les enseignant·e·s ont eu du mal à maîtriser des plateformes numériques complexes et à essayer de rendre les interactions virtuelles en classe avec les enfants aussi enrichissantes que possible. Plongé·e dans l’apprentissage virtuel à très court préavis, l’enseignante de notre propre petit-enfant a mis en ligne du matériel dès 4 heures du matin. Nous avons également entendu parler de tou·te·s les enseignant·e·s qui ont fourni du matériel pédagogique, des cahiers d'exercices, des stylos et du papier aux foyers pauvres de la classe ouvrière alors que de nombreux enfants ne pouvaient pas accéder à l'apprentissage en ligne. Nous avons vécu dans un monde sans enseignant·e·s. Il est donc temps de réfléchir aux raisons pour lesquelles les enseignant·e·s sont vraiment important·e·s.

Permettez-moi de vous donner un simple exemple personnel. Mary Waring était ma professeure de géographie au lycée. Elle a éveillé en moi des intérêts pour la géographie et la géologie qui m’ont accompagné toute ma vie et que j'ai ensuite transmis à d'autres, parfois avec un enthousiasme qui frôle l'excès. Ses excursions sur le terrain afin d’identifier les caractéristiques locales de la géographie physique nous ont emmenés sur une berge proche et dans des carrières voisines où nous avons recherché des traces de vieux crustacés imprimés dans les roches. Avec mon meilleur ami de lycée, je suis ensuite allé plus loin, dans les collines, collectant mes propres échantillons, que j'ai gardés jusqu'à ce jour. J'ai étudié la géographie et la géologie dans le cadre de mes études universitaires et je ne l'ai abandonnée que pour un diplôme de sociologie, à cause d'un autre professeur d'université passionnant. Mais j'ai continué à compléter ma collection de roches et de minéraux jusqu'à l'âge adulte. J'ai transmis une partie de mon enthousiasme à mes jeunes enfants. Et l’une d’entre eux, ma fille, Lucy, qui a également été inspirée par un professeur de géographie, est devenue géographe de l’environnement et une haute dirigeante auprès du ministre canadien de l’Environnement.

Puis, hier, c'était la présentation en ligne de ma petite-fille de 6 ans. Elle se tenait fièrement devant son écran d'ordinateur portable, agrippant une petite pierre qu'elle avait ramassée au bord du lac. Prenant une loupe, elle a attiré l'attention sur une empreinte dans la roche. «Cela pourrait être un fossile», dit-elle. «Avez-vous d'autres fossiles?» a demandé sa professeure? «Pas encore, mais mon grand-père en a beaucoup», dit-elle. «Et quand je serai grande, je veux être paléontologue». Alors, ce week-end, ma femme et moi allons faire trois heures de route pour explorer un site de collecte de fossiles où nous pourrions peut-être emmener nos petits-enfants avant que l'hiver ne s'installe. Et tout cela, tout cela, a commencé par une enseignante, la veuve d'un entrepreneur de pompes funèbres qui s'approchait de la retraite - Mary Waring.

Pensez à un intérêt particulier que vous avez, au travail, au sein de votre famille ou dans vos loisirs. Pensez ensuite à la personne qui vous l'a présenté. Il y a de fortes chances que ce soit un·e enseignant·e. Nous disons souvent que les bon·ne·s enseignant·e·s suivent les intérêts de leurs élèves. Les enseignant·e·s vraiment excellent·e·s initient également de nouveaux intérêts, qui durent parfois toute une vie, conduisant à des passions adultes, à des choix de carrière et bien plus encore, qui se poursuivent tout au long de la vie et qui sont transmis aux générations futures.

Quand j'avais environ 15 ans, Mary Waring, nous a également permis de poursuivre des projets de plusieurs semaines sur des sujets géographiques suscitant un intérêt personnel intense. J'avais perdu mon père quelques années plus tôt. Mon frère aîné, Peter, a essayé de le remplacer d'une certaine manière en m'emmenant à des matchs de football et à des randonnées épiques à travers les collines, mes chaussures d'école aux pieds. Mais ensuite, quand j'avais 14 ans, Peter a décidé de quitter son emploi à l’usine et d'émigrer sur l'un des derniers navires partant de Liverpool à destination d’une vie meilleure au Canada, où il voulait devenir gendarme (même si, en arrivant là-bas, il s’est avéré qu’il était un demi-pouce trop court). Nous pensions que nous ne le reverrions jamais. Ainsi, sur la couverture de mon livre de projet sur le Canada, ses montagnes, ses forêts, ses minéraux et ses lacs, il y avait ma propre image soigneusement peinte d'un agent de la GRC. Et regardez où je vis maintenant – j’ai traversé l’Atlantique et suis citoyen canadien depuis 25 ans. Cela aussi a commencé avec Mme Waring.

Mais Mary Waring n’était pas seulement une enseignante passionnante. Lors d’une occasion inoubliable, quelques années plus tard, alors que j'avais décidé de rester à la maison pendant quelques jours d'absence non autorisée pour réviser mes examens d'entrée à l'université, je suis sorti à l'heure du déjeuner pour enquêter sur l’origine de bruits sourds à la porte arrière. Je pensais que je devais ouvrir la porte au charbonnier. Quand j'ai déverrouillé la porte, cependant, je me suis retrouvé face à face avec ma professeure de géographie. Elle n'avait pas pu se faire entendre à l'avant parce que j’écoutais de la musique rock bien bruyante. En entrant dans notre petit salon, elle a regardé de travers la nouvelle épouse de mon frère, entièrement maquillée et vêtue d'une robe de velours rouge. Ma belle-sœur a essayé d'agiter son annulaire de mariage en l'air pour contrer l'impression qu'elle aurait pu être ma petite amie !! Mais Mary Waring savait que j'avais parfois eu des difficultés dans les années qui avaient suivi la mort de mon père, surtout après que ma mère se soit effondrée suite à une dépression, et que nous ayons fini par bénéficier de l'aide sociale. Elle me considérait comme une personne à part entière, avec une vie en dehors de l'école comme à l'intérieur de celle-ci. Elle ne s’est donc pas énervée, ne m’a ni critiqué ni cajolé, mais a calmement suggéré que ce serait peut-être une bonne idée de retourner à l’école maintenant et de terminer mes études là-bas - ce que j’ai dûment fait, en remportant le prix de géographie de l’école plusieurs mois plus tard.

C'est ce que font tant d'enseignant·e·s. Il·elle·s inspirent à nos enfants de nouveaux intérêts, développent leur curiosité pour l'apprentissage, leur donnent la chance d'entreprendre de longs projets qui leur permettent d'explorer leurs intérêts et, dans une certaine mesure, eux-mêmes, en profondeur. Et il·elle·s s’engagent dans l’ensemble du développement de leurs élèves en tant qu’êtres humains. Même lorsque vous n’êtes pas parfait·e et que vous êtes déçu·e de vous-même, des professeur·e·s comme elle restent à vos côtés et vous aident à vous remettre sur la bonne voie.

C’est donc une honte et un scandale que pendant plus de 20 ans, dans de nombreux pays, les politicien·ne·s ont pensé pouvoir réduire le coût des dépenses publiques en désinvestissant dans l’éducation publique et en humiliant et en décourageant ses enseignant·e·s. Il·elle·s pensaient pouvoir privatiser les écoles et déréglementer l'enseignement afin que les enseignant·e·s soient moins qualifié·e·s, moins syndiqué·e·s et moins bien soutenu·e·s, et donc passer rapidement à autre chose avant que leurs salaires ne commencent à grimper. Et il·elle·s pensaient et pensent encore parfois que les enseignant·e·s étaient remplaçables par des appareils numériques. Il·elle·s ont affirmé que l'éducation pouvait avoir lieu à tout moment, n'importe où, avec ou sans les enseignant·e·s. Et il·elle·s pensaient que des algorithmes impersonnels pouvaient remplacer les jugements professionnels des enseignant·e·s. Les dirigeant·e·s gouvernementaux·tales, les critiques actifs dans les médias et dans les affaires, et nombre de leaders d’opinion, ont promulgué des stéréotypes grossiers de mauvais enseignant·e·s qui ruinerait la vie des enfants. L'enseignement en présentiel était dépeint comme étant un enseignement magistral, dans les classes ennuyeuses d’écoles de l’ère industrielle. Ces caricatures, aussi fictives que les bulletins de vote américains prétendument jetés dans des rivières sans nom, ont ensuite été utilisées pour essayer de remplacer les enseignant·e·s par l'apprentissage en ligne.

Puis, tout à coup, la plus grande expérience éducative grandeur nature de l'histoire humaine - retirer près de 2 milliards d'enfants de l'école - a fait réfléchir tout le monde. Qu’ est-ce qu’un monde sans enseignant·e·s?

C’est un endroit sans économie car les parents ne peuvent pas aller travailler si leurs enfants ne sont pas scolarisés.

C’est un endroit où les adolescent·e·s ne peuvent pas être avec leurs pair·e·s, développer leur sens de l’identité et des responsabilités loin de leurs parents.

C’est un endroit qui ne peut pas protéger les jeunes contre le harcèlement, ni empêcher de nombreux autres de se transformer en brutes.

C’est un lieu qui ne crée aucun sens de la communauté ou de la façon de participer à la société.

C’est un endroit où les enseignant·e·s ne peuvent pas être le point de repère qui sépare l’ordre du chaos, où il·elle·s ne peuvent pas intervenir calmement en cas de problème et où il n’y a personne pour aider les enfants à se concentrer, alors qu’ils sont facilement distraits.

Un monde sans enseignant·e·s est aussi un lieu où les enfants n'ont aucun moyen d'apprendre à exprimer leurs propres idées et à écouter les autres, à attendre leur tour et à valoriser les différences.

Les enseignant·e·s suscitent de nouveaux intérêts, vous montrent la différence entre votre premier effort et votre meilleur effort, et vous aident à réaliser des choses que vous n'auriez jamais cru possibles si vous aviez été laissé·e à vous-même.

Les enseignant·e·s aident les jeunes à s’informer sur le racisme, les préjugés, le changement climatique et l’Holocauste, même et surtout lorsque les parents des jeunes ne le font pas.

Un monde sans enseignant·e·s est un monde privé d'apprentissage et offrant beaucoup moins d'amour. Appréciez les enseignant·e·s de vos enfants et réfléchissez aux enseignant·e·s qui ont fait une différence pour vous.

Il est temps de ramener nos enseignant·e·s, non seulement physiquement dans nos écoles, mais aussi moralement, au centre même de nos sociétés. Veuillez célébrer la Journée mondiale des enseignant·e·s.

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Le 5 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale des enseignant·e·s, l’Internationale de l’Éducation organise un évènement virtuel de 24 heures à travers le monde entier. Partout dans le monde, les enseignant·e·s se réunissent pour partager ce qu’il·elle·s ont appris en tant que profession et expliquer comment nous pouvons garantir et faire avancer l’éducation de qualité, inclusive et équitable pour tou·te·s.

Le programme complet, auquel participent des enseignant·e·s du monde entier, des chef·fe·s d’Etat, des Premier·ère·s ministres, des ministres de l’Éducation, des dirigeant·e·s d’organisations internationales, des journalistes et scientifiques célèbres, un lauréat du prix Nobel de la paix, ainsi que bon nombre d’autres personnalités, est disponible sur le site >www.5oct.org/programme/>.<>

L’événement est retransmis en direct sur toutes les plateformes de l’internationale de l’Éducation. Vous pouvez vous inscrire ici.

Tous les liens vers les retransmissions en direct sont disponibles sur le site >www.5oct.org/watch/>. Un service d’interprétation est assuré en anglais, français, espagnol, arabe, portugais, russe et japonais.<>

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