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De la recherche à l’action à l’échelle planétaire dans la lutte pour un enseignement public de qualité

Publié 4 novembre 2022 Mis à jour 15 novembre 2022

L’Internationale de l’Éducation a rassemblé plus de 100 chercheur·euse·s de premier plan appartenant à des syndicats enseignants du monde entier, afin d’analyser la façon dont la recherche peut étayer l’action syndicale dans la lutte pour une éducation de qualité.

La 17e réunion du Réseau de recherche de l’Internationale de l’Éducation s’est tenue les 26 et 27 octobre à Bruxelles, en Belgique, et c’était la première des réunions à avoir adopté un format hybride (en présentiel et à distance). Durant deux journées de présentations, débats et séances interactives réparties en petits groupes, la condition des enseignant·e·s mais aussi la privatisation de l’éducation et le financement de l’enseignement ont été les sujets au centre des discussions de cette année.

Les participant·e·s ont pu assister à une présentation de l’état des lieux des recherches passées, nouvelles ou à venir, que l’Internationale de l’Éducation a commanditées, à la fois à l’échelle mondiale et au niveau des diverses zones géographiques.

Parmi les recherches qui ont été mises en œuvre, on en compte notamment qui portent sur le leadership des enseignant·e·s, l 'évaluation formative (lien en anglais) et les conséquences des nouvelles technologies de l’évaluation sur la profession enseignante, l’éducation au changement climatique, la privatisation de l’éducation et sa marchandisation, ou encore le financement de l’éducation, avec une attention particulière accordée aux restrictions budgétaires affectant le salaire des enseignant·e·s.

Les participant·e·s, issu·e·s des organisations membres de l’Internationale de l’Éducation dans le monde entier, ont également eu l’occasion de partager les conclusions tirées de recherches sur ces sujets menées au niveau national et les diverses stratégies adoptées pour influencer la politique de l’éducation en se fondant sur les données fournies par la recherche pour faire passer des messages d’action et mettre en avant les bénéfices de l’engagement syndical.

Des séances interactives réparties en petits groupes ont été organisées autour de diverses questions-clés, notamment l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies de l’enseignement, la question du rapport entre équité et privatisation, le statut des enseignant·e·s et l’idée d’une approche sectorielle de la recherche destinée aux auxiliaires d’éducation, pour n’en citer que quelques-unes.

Améliorer la condition de la profession enseignante

Lors de la première des deux journées de la réunion du Réseau de recherche, une présentation, faite par John Bangs, consultant spécial auprès de l’Internationale de l’Éducation, et portant sur la prochaine édition (2024) du Rapport mondial sur la condition du personnel enseignant, a ouvert les débats sur la question suivante : comment la recherche collective peut-elle servir de référence dans la lutte militante que mènent les syndicats d’enseignants pour obtenir certains changements ?

Ce rapport mondial rendu tous les 3 ans se fait l’écho de la parole des enseignant·e·s et professionnel·le·s de l’éducation à tous les niveaux. Il réunit des données sur de multiples aspects qui affectent leur profession, notamment leurs conditions de travail, leurs droits et le degré respectif d’évolution de leur statut, mais aussi concernant l’autonomie des enseignant·e·s et le leadership enseignant.

Cette présentation a été suivie d’une discussion approfondie sur le statut d’enseignant·e et la profession enseignante. Sam Sellar, de l’université de Manchester au Royaume-Uni, a présenté les conclusions préliminaires d’une étude pilote sur l’autonomie professionnelle des enseignant·e·s et l’évaluation numérique, étude menée en partenariat avec des organisations enseignantes d’Afrique du Sud, d’Islande et de Colombie-Britannique, au Canada. Avec pour toile de fond les changements induits par la numérisation de l’évaluation, cette recherche analyse les divers points de vue qu’ont les enseignant·e·s sur l’avenir de celles de leurs pratiques professionnelles qui sont en rapport avec l’acte d’évaluer.

Une équipe internationale de chercheur·euse·s de l’université de Toronto, au Canada, a lancé le Projet des cercles d'apprentissage guidés par l'enseignant·e (lien en anglais), un projet développé par l’Internationale de l’Éducation et financé par la fondation Jacobs. Il a pour objectif de faire progresser le leadership enseignant et la pratique éducative en termes d’utilisation de l’évaluation formative, elle-même visant à améliorer l’apprentissage des élèves. Il porte sur 7 pays cibles : Brésil, Colombie, Côte d’Ivoire, Ghana, Malaisie, Corée du Sud et Suisse. Carol Campbell et Danielle LaPointe-McEwan ont présenté les conclusions du premier rapport (lien en anglais) du projet, lequel offre un compte rendu de la recherche sur le sujet, de même qu’il analyse la façon dont les enseignant·e·s abordent leur propre leadership et leur propre pratique de l’évaluation formative.

Numérisation et avenir de la profession : une formation numérique

La plateforme numérique de l’Internationale de l’Éducation pour le renforcement des capacités, l’Académie des militant·e·s du mouvement des travailleur·euse·s (ALMA, de son acronyme en anglais) a mis en ligne sa première formation sur la numérisation de l’enseignement, destinée aux membres du Réseau de recherche. Fondée sur la recherche « Enseigner avec les technologies » (lien en anglais), menée pour l’Internationale de l’Éducation par Christina Colclough, cette formation offre aux militant·e·s syndicaux·ales des connaissances fondamentales pour leur permettre de protéger et de développer leurs droits, leur autonomie et leurs libertés à une époque où l’enseignement se numérise de plus en plus. La plateforme ALMA sera bientôt accessible à toutes les organisations membres de l’Internationale de l’Éducation.

Militer pour un financement public de l’éducation afin de combattre la privatisation

Lors de la seconde journée, les débats se sont concentrés sur le financement de l’éducation et sur la privatisation et la marchandisation croissantes de l’enseignement, ainsi que sur le fait que la recherche est maintenant devenue un outil essentiel pour permettre aux syndicats d’enseignants de produire des messages fondés sur des preuves factuelles afin de pouvoir démonter le récit hégémonique mondial qui s’est construit en faveur de la privatisation.

Prachi Srivastava, de la Western University, au Canada, a donné une présentation sur les différents niveaux auxquels le secteur privé avait investi l’éducation durant la pandémie et sur la menace que cela représente dans la reconstruction de l’éducation. Elle a montré que les interruptions dans l’enseignement avaient mis au jour des inégalités non seulement du point de vue individuel mais également institutionnel. Srivastava a souligné la nécessité de protéger les ressources publiques destinées à l’éducation, un élément essentiel de la résilience des sociétés, des ressources qui doivent être dirigées en priorité vers les élèves qui en ont le plus besoin.

Mauro Moschetti, de l’Université autonome de Barcelone, en Espagne, a, dans son exposé, offert un aperçu des montages complexes par lesquels s’affirment les tendances à la privatisation de l’éducation, à travers l’étude des cas de la Colombie et du Paraguay. Ces tendances comprennent la généralisation des partenariats public-privé dans le secteur de l’éducation, le marché en expansion des écoles payantes à frais de scolarité peu élevés, et le rôle déterminant qu’ont les coalitions et les réseaux dans la promotion de la privatisation de et dans l’enseignement dans la région Amérique latine.

Le point de vue des syndicats d’enseignants a été donné par Eric Angel Carbonu, président de la National Association of Graduate Teachers (Association nationale des enseignant·e·s diplômé·e·s du supérieur ; NAGRAT, de son acronyme en anglais), qui est au Ghana l’une des organisations membres de l’Internationale de l’Éducation. Le Ghana est l’un des pays cibles du projet de Réponse mondiale de l’Internationale de l’Éducation, et les syndicats de l’enseignement ont réussi, grâce à leur Campagne contre la privatisation et la marchandisation de l’enseignement (CAPCOE selon l’acronyme en anglais ), à rassembler une coalition d’organisations issues de la société civile, afin de faire face aux grandes tendances à la privatisation dans le pays, de les freiner et d’en inverser le cours.

Carbonu a présenté son analyse de la privatisation croissante de l’éducation, qui se manifeste surtout au niveau de l’école primaire. « La privatisation n’est pas un événement délimité. C’est un processus graduel. Elle se développe selon des flux très subtils », a-t-il déclaré. Carbonu a ensuite expliqué que l’argent public finançant le domaine de l’éducation n’était en fait pas alloué à ses secteurs essentiels, tels que le salaire des enseignant·e·s et les infrastructures, et il a estimé qu’une enquête pour déterminer où l’argent avait été dépensé constituait un objet de recherche intéressant pour avancer.

David Edwards, secrétaire général de l’Internationale de l’Éducation, a clôturé la réunion du Réseau de recherche en soulignant combien il était important de créer une solidarité internationale pour faire face aux nombreux problèmes de l’époque actuelle post-pandémique : « Le Réseau de recherche de l’Internationale de l’Éducation continue à jouer un rôle essentiel dans le partage du vécu des enseignantes et enseignants, des auxiliaires d’enseignement et de leurs syndicats dans le monde, au sein de notre lutte pour défendre le droit à l’éducation, de bonnes conditions d’emploi et les droits syndicaux de la profession ».