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Mondes de l'éducation

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Mettre en valeur l’humanité des personnels et de la profession enseignante

Publié 26 septembre 2023 Mis à jour 28 septembre 2023
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L’éducation, c’est aussi développer l’humanité. Il importe pour cela de mettre en valeur l’humanité des enseignantes et des enseignants en tant que personnes et professionnel·le·s et la grande complexité de leur travail pour enseigner à leurs élèves et leur donner les outils qui leur permettront de s’épanouir dans leur vie. Nous examinons ci-après le document d’information que nous avons soumis au Groupe de haut niveau sur la profession enseignante des Nations Unies rappelant que le développement de l’humanité est un impératif.

Parmi les définitions de l’humanité, on trouve « sentiment de bienveillance, de compassion envers autrui » et « caractère de ce qui est humain, nature humaine ». La notion d’humanité englobe notamment le bien-être des enseignantes et des enseignants, et donc leur santé physique, mentale et émotionnelle. Elle est étroitement liée au statut de la profession enseignante, à la nature même de leur métier et à leurs conditions de travail ( OCDE, 2021; Viac et Fraser, 2020).

Phénomène inquiétant, les études indiquent, d’une part, une détérioration du bien-être du personnel enseignant à l’échelle mondiale et une inquiétude généralisée concernant le stress lié aux conditions de travail, la charge de travail et l’intensification de ce dernier ( Schleicher, 2018; Thompson, 2021), et d’autre part, une dégradation du sentiment d’être reconnu·e et respecté·e ( Singh, 2021). L’impact de la pandémie mondiale de COVID-19, qui a conduit à la fermeture des écoles et à l’enseignement en ligne, a également mis à l’épreuve le travail et le bien-être des personnels enseignants ( Internationale de l’Éducation, 2020).

Ces préoccupations au niveau mondial ne sont pas uniformes. L’identité des enseignantes et des enseignants et leurs lieux de travail peuvent avoir une incidence sur leur bien-être. Les personnels appartenant à des groupes marginalisés tels que les femmes, la communauté LGBTI+, les personnes en situation de handicap ou défavorisées sont souvent les premières victimes des structures inéquitables et discriminatoires qui conditionnent le bien-être ( Day, 2008 ; Kraft et Papay, 2014 ; Singh, 2021).

Négliger l’humanité et le bien-être des personnels enseignants a des conséquences négatives non seulement sur eux-mêmes, mais aussi sur les élèves, les écoles et l’ensemble des systèmes éducatifs ( UNESCO, 2020). Pour les enseignantes et les enseignants, la fatigue excessive, le stress et l’épuisement professionnel peuvent se traduire par une perte de motivation, des changements dans les performances, des maladies et l’abandon de la profession. Point important, le bien-être des personnels enseignants influence également celui des élèves, l’apprentissage et les résultats scolaires ( OCDE, 2021). Toutes ces conséquences sont trop importantes pour être ignorées et il est urgent de s’y intéresser.

Notre document présente cinq impératifs pour promouvoir l’humanité des enseignantes et des enseignants et de la profession enseignante.

Impératif 1. Il est indispensable de renforcer le respect et le statut de la profession enseignante et d’améliorer les conditions de travail et l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

En résumé, les systèmes éducatifs les plus performants se trouvent dans les pays où la profession enseignante est valorisée au sein de la société (Schleicher 2018, p. 91). Il est important de défendre et d’améliorer l’image de la profession enseignante, afin d’encourager les candidates et candidats potentiel·le·s à faire carrière dans l’enseignement et de recruter et retenir des enseignantes et des enseignants efficaces. Il faut pour cela leur offrir des salaires décents, de bonnes conditions de travail, un équilibre entre vie privée et vie professionnelle et garantir leur sécurité.

Ce que nous proposons :

  • Il semble important et opportun de lancer une campagne mondiale mettant en avant l’importance des personnels enseignants et de l’enseignement et visant à fournir aux responsables politiques et aux parties prenantes de l’éducation des informations sur le travail et le bien-être des enseignantes et des enseignants, mais aussi sur l’apprentissage, le bien-être des élèves et l’équité.
  • Il est urgent de se pencher sur la qualité de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle et de remédier aux inégalités entre les différentes catégories d’enseignantes et d’enseignants.
  • Le droit à la sécurité émotionnelle et physique à l'école doit être respecté dans le monde entier.

Impératif 2. Développer une éducation davantage centrée sur la personne humaine suppose une implication et un leadership des personnels enseignants

Si l’on souhaite développer une éducation davantage centrée sur la personne humaine, il importe d’accorder une place centrale à l’implication et au leadership des personnels enseignants dans les processus décisionnels en lien avec l’éducation ( Campbell et Harris, 2023). Thompson préconise un nouveau « professionnalisme intelligent » qui suppose de passer de l’autonomie et de l’action professionnelles (c’est-à-dire se décharger des prérogatives gouvernementales et de l’intensification du travail enseignant qui y est associée) à une approche privilégiant l’expertise au sein même de la profession (Thompson, 2021, p. 5). L’ Organisation internationale du Travail demande aussi de garantir un avenir du travail décent.

Ce que nous proposons :

  • L’avenir de la profession enseignante repose sur des approches accordant la priorité à une éducation davantage centrée sur la personne humaine, au professionnalisme intelligent et à la qualité du travail futur, partout dans le monde.

Impératif 3. Privilégier le plaisir d’enseigner et l’amour d’apprendre en soutenant l’enthousiasme et l’engagement des personnels enseignants.

Comme le souligne le Rapport du Sommet 2022 des Nations Unies sur la transformation de l’éducation, il est essentiel que l’enseignement et l’apprentissage soient basés sur l’expérience, la recherche, la curiosité et le plaisir (2023, p. 14). La motivation qui pousse à se tourner vers la profession enseignante repose souvent sur le plaisir de travailler avec des élèves et sur la volonté de faire la différence. Cet engagement doit être mis à profit et soutenu tout au long de la carrière. Il est également primordial que les politiques et pratiques actuelles cessent de saper le plaisir d’enseigner et l’amour d’apprendre.

Ce que nous proposons :

  • Si l’on souhaite faire évoluer de manière significative les réformes actuelles de l’éducation, il serait intéressant de développer une vision mondiale et des actions connexes qui accordent la priorité au plaisir d’enseigner et à l’amour d’apprendre, qui seraient considérées à la fois comme des objectifs et des résultats déterminants de l’éducation. Cela impliquerait de poser la question suivante : « comment ces politiques contribuent-elles au plaisir d’enseigner et à l’amour d’apprendre, ainsi qu’au bien-être des personnels enseignants et des élèves ? »
  • Une approche uniforme ou normative pour donner la priorité au plaisir d’enseigner est totalement inappropriée. Ce qui importe, c’est d’établir un lien avec ce qui motive chaque enseignante ou enseignant.
  • Il est également important d’adopter des approches de la formation professionnelle initiale et continue qui tiennent compte des motivations individuelles des enseignantes et des enseignants.

Impératif 4. Soutenir le travail et le bien-être des personnels enseignants à travers la formation professionnelle continue et la collaboration.

Le Rapport du Sommet 2022 sur la transformation de l’éducation souligne que les enseignantes et les enseignants doivent être soutenu·e·s et recevoir les moyens de contribuer à leur propre transformation pour devenir des agents du changement, des productrices et producteurs de savoirs, des guides pour comprendre les réalités complexes (2023, p. 14). Pour être efficace, la formation professionnelle doit prendre en considération les priorités identifiées par les personnels enseignants eux-mêmes et être différenciée en fonction de leurs besoins. Elle doit également proposer des programmes pertinents et de qualité, soutenir la recherche, la réflexion et l’apprentissage collaboratif, disposer de ressources adéquates et être soutenue par la direction des établissements scolaires ( Campbell et al., 2022).

Ce que nous proposons :

  • Il est essentiel de permettre à l’ensemble des enseignantes et des enseignants d’accéder à une formation professionnelle efficace et de haute qualité.
  • Il est nécessaire, après la pandémie de COVID-19, de redonner confiance à la profession.
  • Il est primordial de permettre aux enseignantes et aux enseignants de s’exprimer, de s’impliquer et d’opérer des choix dans le cadre de leur formation professionnelle.
  • Il importe d’offrir aux enseignantes et aux enseignants la possibilité de collaborer de manière pertinente, authentique et ciblée.

Impératif 5. Il est urgent de s’intéresser à la question du bien-être des personnels enseignants et de prévenir leur mal-être.

L’enseignement compte parmi les métiers les plus oppressants. Le stress et l’épuisement professionnel sont particulièrement répandus dans la profession à travers le monde ( De Clercq et al., 2022; Schleicher, 2018 ; Skaalvik, E. M. et Skaalvik, S., 2020). La charge de travail, les pressions professionnelles et le manque de temps pour se détendre et se ressourcer font partie des principaux facteurs d’épuisement. Si les systèmes éducatifs prennent de plus en plus conscience des problèmes de bien-être, les aides disponibles sont le plus souvent accordées à la suite d’une demande de conseil de la part de l’enseignante ou de l’enseignant, plutôt que dans le cadre d’approches systémiques visant à prévenir le mal-être.

Ce que nous proposons :

  • Les conditions de travail du personnel enseignant nécessitent investissement et attention.
  • Un leadership au niveau mondial est nécessaire si l’on souhaite pleinement s’engager à garantir des horaires raisonnables et une charge de travail pouvant être gérée pendant les heures de travail.
  • Il importe d’accorder attention et soutien au bien-être individuel, tout en s’attaquant simultanément aux causes systémiques du mal-être professionnel.
  • Il est nécessaire de réunir autour de la table à la fois les spécialistes de l’éducation, de la santé et du bien-être, les responsables politiques ainsi que des chercheuses et chercheurs, afin de pouvoir engager une campagne soutenue et hautement médiatisée visant à mettre un terme au mal-être enseignant et mettant en avant les approches efficaces et probantes.

Il est urgent d’agir

Faire valoir l’humanité des enseignantes et des enseignants est primordial pour soutenir les élèves et la profession enseignante et promouvoir une éducation de haute qualité. Des conséquences négatives importantes de cette négligence de l’humanité et du bien-être des personnels enseignants se font déjà ressentir dans le monde entier. Nous demandons instamment que les cinq impératifs que nous venons d’énoncer soient pris en considération et suivis d’actions. La mise en valeur de l’humanité des enseignantes et des enseignants doit être au centre de l’éducation. L’essence même de notre avenir collectif en dépend.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.