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Togo: Sensibiliser est la clé dans la lutte contre le travail des enfants

Publié 14 juin 2024 Mis à jour 20 juin 2024

Un projet pilote mené par le syndicat de l’éducation FESEN (1) dans la région de Sotouboua, dans le centre du Togo, contribue à faire évoluer les mentalités pour que le travail des enfants ne soit plus considéré comme acceptable. Le travail agricole et le travail domestique sont les principales activités qui entravent la scolarité des enfants dans cette région.

Le projet a débuté en 2019 par des formations d’enseignant·e·s, de comités de gestions scolaires et de leaders de communauté, pour leur ouvrir les yeux sur le rôle qu’ils ont à jouer dans la lutte contre l’exploitation des enfants par le travail. L’un des éléments clés de la formation est la distinction entre le travail des enfants (interdit) et le travail socialisant, qui n’a pas d’impact négatif sur la scolarisation, la santé ou le développement personnel de l’enfant.

Ces formations ouvrent les yeux des enseignant·e·s et directions d’école sur le rôle qu'ils peuvent jouer dans l'éradication du travail des enfants dans leur communauté. « Dès qu’un élève abandonne l’école, nous allons rencontrer sa famille, explique Panadèma Bayabenze, enseignant dans l’école du village de Mèwèdè. Nous n’étions pas aussi réactifs avant ce projet syndical. Souvent, les parents ne se rendent pas compte des dangers qui découlent d’un abandon scolaire. Nous les sensibilisons aussi lors de chaque assemblée générale de l’école, quand tous les parents sont réunis »

Convaincre les parents

La sensibilisation des communautés à l’importance de l’éducation est l’une des clés du succès du projet de la FESEN. « De nombreux parents n'ont jamais été à l'école et ne connaissent donc pas la valeur de l'éducation, explique un membre du comité de gestion de l’école du village de Mèwèdè. L'atelier de la FESEN nous a donné de nouveaux arguments lorsque nous leur parlons. Par exemple : on ne va pas à l'école seulement dans l'espoir de devenir fonctionnaire, on y va aussi pour soi, pour son développement personnel, et même pour devenir un meilleur agriculteur sur le plan local ».

Des comités villageois de lutte contre le travail des enfants sont créés dans les localités où la FESEN développe ses projets. Ses membres sont les personnes les plus influentes, comme les chefs de villages, ou les personnes les plus intéressées par un engagement en faveur des enfants. Ils assistent les enseignant·e·s dans les sensibilisations sur les risques liés à l’abandon scolaire. « Le projet nous a fait prendre conscience de la nécessité pour chaque enfant de rester à l'école, explique Sangbalao Pouwèdéo, chef du village de Toukoudjou. Avant le projet, lorsqu'un enfant abandonnait l'école, nous parlions aux parents, mais seulement de manière informelle. Suite à notre formation, c'est plus systématique : quand il y a un abandon, on va trouver les parents, on sensibilise. Beaucoup d'enfants sont revenus à l’école suite à ces sensibilisations ».

Les syndicats forment aussi les enseignant·e·s de la zone du projet sur les normes nationales et internationales relatives aux droits de l'enfant, sur une pédagogie plus attractive et plus inclusive. Un accent est porté sur l’abandon des châtiments corporels. Ces formations sont particulièrement utiles pour les enseignant·e·s communautaires, recruté·e·s au sein des villages pour combler le déficit d’enseignant·e·s diplômé·e·s.

Les élèves s’impliquent dans la lutte contre le travail des enfants

Des clubs de lutte contre le travail des enfants ont été créés dans les écoles du projet. Les élèves membres de ces clubs sont encadrés par l’enseignant·e formé·e par la FESEN, ils développent des activités artistiques (théâtre de rue, chants, danses, poèmes) qui sensibilisent aux droits de l’enfant et à l’importance de l’éducation. Par leurs contacts personnels, les élèves contribuent à convaincre des enfants travailleurs de la communauté à revenir à l’école. « Lorsqu’un·e membre du club constate qu’un enfant est exploité par le travail, il·elle avertit l’enseignant·e point focal·e, ou un·e membre du comité villageois de lutte contre le travail des enfants, nous prenons alors le relais de cet élève pour contacter la famille de cet enfant », explique Panadèma Bayabenze, enseignant dans l’école du village de Mèwèdè.

Le projet de la FESEN a permis à 137 enfants d’être retirés du travail et de retrouver les bancs de l’école entre 2019 et 2023. Tous ont bénéficié de cours de rattrapage afin de combler le retard scolaire par rapport aux autres enfants de leur âge. Le projet impliquait 9 écoles dans cette période, il est étendu par la FESEN et ses partenaires internationaux à 9 écoles supplémentaires dans la même région en 2024-2025.

Plaidoyer pour les cantines scolaires

Au cours de ces deux prochaines années, le syndicat va aussi intensifier son plaidoyer pour le développement de cantines scolaires. Une première cantine créée dans l’école de Mèwèdè suite à la mobilisation des enseignant·e·s et des communautés permet déjà de nourrir 195 enfants chaque jour, elle joue un rôle clé pour attirer les enfants les plus pauvres à l’école et prévenir leur abandon.

Le développement d’un tel projet permet au syndicat de renforcer son dialogue social avec les autorités locales. Dans le canton de Kazaboua, le projet pilote développé par la FESEN dans quatre écoles a été étendu par les autorités à tout le canton. Lanto Akaba-Abalo, chef du canton de Kazaboua: « Ce projet avait obtenu des résultats impressionnants dans les écoles pilotes, notamment une réduction drastique de l’abandon scolaire. J’ai donc formé des comités villageois, sensibilisé et formé les directeurs des six autres écoles du canton, pour qu’ils suivent cet exemple. A l’heure actuelle, plus aucun enfant n’abandonne dans les 10 écoles primaires de mon canton. Les sensibilisations menées par chacun ont aussi contribué à faire baisser le nombre de cas de maltraitance envers les enfants dans tout le canton ».

Amele, 9 ans, habite dans le village de Mèwèdè. Elle a abandonné l'école en 2023, au début de sa deuxième année primaire.

Le comité villageois de lutte contre le travail des enfants a contacté l'enseignant point focal de son école pour expliquer les raisons de cet abandon : la mère d’Amele a quitté son domicile pour aller vivre dans le nord du pays, la laissant seule avec ses deux frères de 12 et 13 ans, car son père avait déjà quitté la famille plus tôt. Amele n'a pas d'autres parents dans le village. Sans pression familiale, elle a quitté l'école pour se consacrer aux tâches ménagères.

Panadèma Bayabenze, l'enseignant en charge du projet de la FESEN dans l’école de Mèwèdè, s'est rendu au domicile d’Amele. Il lui a parlé gentiment, sans le moindre reproche, en s'appuyant sur les conseils qu'il avait reçus lors du stage de formation syndicale. Il lui a acheté un cahier et a réussi à la convaincre de revenir à l'école tous les jours. Il explique : « La cantine scolaire développée suite au projet de la FESEN a été un argument de poids pour convaincre Amele de revenir à l’école : ici au moins, elle est sûre d’avoir un bon repas par jour »

La FESEN est la Fédération des Syndicats de l’Education Nationale. Son projet est mis en œuvre avec le soutien de l’Internationale de l’Education, de l’AOb, de Mondiaal FNV (Pays-Bas) et de la Fondation Fair Childhood de la GEW (Allemagne).